La récente décision du Conseil de Paris s'entoure d'une assez remarquable discrétion. Pas la moindre information, par exemple, sur la section du site web municipal qui traite de son objet, l'urbanisme. Comme l'écrivaient Les Échos, il s'agit pourtant d'un mouvement d'importance puisque, "pour la première fois depuis 1977, des immeubles de plus de 37 mètres seront édifiés." La dépêche de l'AFP se montre encore plus catégorique, présentant la décision comme historique. Votée par les seuls socialistes, communistes et apparentés, cet amendement au Plan Local d'urbanisme a été combattu, par tradition, par l'opposition de droite, par conviction, par les Verts. À ce jour, pas plus la section locale de l'UMP que celle du mouvement écologiste élargi ne font pourtant, sur leurs sites web, allusion à cette révolution, ni ne présentent leurs arguments, laissant à d'autres acteurs, aux compétences plus étroites et au champ d'intervention plus vaste, le soin d'expliciter leur opposition. Ce vote met pourtant fin à plus de trente ans de statu quo, renverse la politique constamment suivie durant cette période, et va à l'encontre de ce sens commun abondamment télévisé et unanimement partagé, qui fait des immeubles de grande hauteur les symboles anachroniques et détestés d'une époque, et d'un mode d'aménagement urbain, dont on souhaite tout oublier. L'écart, en somme, entre la massivité des enjeux, et l'inconsistance des réactions mérite que l'on s'y arrête, et que l'on formule quelques hypothèses dont certaines pourront assez facilement trouver confirmation, là où d'autres relèveront de la spéculation pure.

L'attachement de la municipalité Delanoë à la densification d'un bâti qui, étroitesse des limites administratives et rareté des terrains aménageables obligent, ne peut plus s'effectuer que dans le sens vertical, n'a rien de neuf. La complexité, la subtilité, l'opportunisme des stratégies à mettre en œuvre pour arriver à ces fins n'a, non plus, rien d'original. Mais ce qui, voilà deux ans, avec la tour Triangle de Herzog et de Meuron, n'avait que valeur de prototype, et de ballon d'essai, est devenu aujourd'hui un plan global, désormais doté de la force du règlement et qui n'a plus à craindre que la traditionnelle cohorte des recours qui viendront retarder chacune de ses applications. Il fallait, bien sûr, pour obtenir un tel résultat, disposer avant tout d'une majorité fiable, celle-là même qui a récemment fait défaut, dans des circonstances comparables, à Clichy-la-Garenne. Une telle condition s'est trouvée remplie avec la déroute des Verts lors des municipales de 2008. Mais la démarche elle-même, sa finesse, son opportunisme, explique sans doute largement pourquoi ce vote entraîne si peu de réactions. Car ce PLU, d'abord, est coupé en tranches : le Conseil de Paris n'a pour l'heure modifié qu'un seul règlement d'urbanisme, celui de la zone Masséna-Bussereau, située à l'est de l'opération Paris Rive Gauche, entre Paris et Ivry. Suivront bientôt les amendements nécessaires pour des projets déjà lancés, la tour Triangle entre les pavillons du Parc des Expositions, le nouveau palais de justice, et peut-être ensuite quelques autres, porte de Montreuil ou de la Chapelle. Au lieu de modifier autoritairement, d'un seul coup, le règlement d'urbanisme de la ville entière, comme à l'époque héroïque des Trente Glorieuses, on avance donc à petits pas, un dossier après l'autre, en réintroduisant les hauteurs dans des zones étroites et, qui, toutes, on un même point commun : leur situation aux limites extrêmes de la ville, au-delà des boulevards extérieurs et parfois même du périphérique, donc, dans la zone.
Le projet de Yves Lion pour le secteur Masséna-Bussereau, que présente Le Moniteur, se montre, à ce titre, emblématique : il prévoit de construire quatre tours de bureaux qui pourraient atteindre la limite au-delà de laquelle on change de classification, passant de l'IGH à l'immeuble de très grande hauteur, soit 180 mètres, situées de part et d'autre de l'échangeur du périphérique au quai d'Ivry, à quelques mètres de la banlieue. La tour Triangle, le futur tribunal, dont les emplacements sont déjà arrêtés, connaissent des situations semblables. On sait de façon sûre, en d'autres termes, où ces hautes tours, qui resteront exceptionnelles, ne seront pas construites : à l'inverse de la période précédente, celle du Front de Seine et de Montparnasse, les hauteurs resteront confinées aux lointains. Et si le plafond des 37 mètres saute aussi pour les immeubles d'habitation, ceux-ci, limités à 50 mètres pour ne pas entrer dans la catégorie des IGH, ne compteront guère que cinq étages de plus qu'aujourd'hui. On peut, d'ailleurs, parier que si l'avenir des bureaux, pour lesquels l'offre est pléthorique et la concurrence, entre La Défense et la Plaine de France, vive, et dont certains risquent de connaître la triste fin de certaine tour elle aussi conçue pour un terrain impossible, paraît mal assuré, les logements hauts et denses, à l'inverse, prolifèreront.

C'est qu'on n'a pas vraiment le choix. L'APUR propose, à partir du recensement de 1999, quartier par quartier, une carte remarquablement expressive de la densité parisienne. Impossible de manquer, par exemple, la trace que laisse encore la barrière des fermiers généraux, aux limites inférieures des XVIIème et XVIIIème arrondissements, mais aussi dans le XIIIème. On voit bien aussi à quoi correspondent les quelques zones aujourd'hui encore vides de résidents : les parcs, Monceau, Buttes Chaumont, les hôpitaux, les cimetières, et, dans le XVIIème, le XVIIIème, le XIIème, les voies ferrées, seules réserves foncières encore exploitables, seuls îlots peu denses dans des quartiers jadis populaires et surpeuplés, et que la municipalité, avec ses grandes hauteurs, va densifier un peu plus. Ainsi fonctionne le marchandage municipal : on cède aux Verts sur la question de la circulation, en poursuivant les fortifications de l'ère Baupin, on préserve, en élargissant le centre, la douceur de vivre des arrondissements centraux, là où la gentrification solidifie l'électorat socialiste, et on rajoute du logement social dans les marches urbaines, dont on peut espérer, aussi, qu'elles votent du bon côté. Et la résistance symbolique d'écologistes sans pouvoir et qui auraient de toute façon du mal à justifier une opposition à la construction de logements sociaux n'empêchera pas, tout à côté, Hermitage de s'installer à La Défense, sur 323 mètres et en double exemplaire, en plus.