Voici donc deux mois, au cœur d'un mouvement de grèves massif et sans conséquences, un ancien sportif professionnel dont la personnalité singulière a suscité une sympathie qui s'étend largement au-delà de son univers d'origine a lancé quelques propos de comptoir, préconisant de frapper le système bancaire au portefeuille en allant faire le siège de son agence pour y chercher ses sous. Il n'est guère utile de s'attarder sur l'ineptie du propos, ce que d'autres ont déjà fait avec une remarquable pertinence, et sur son inefficacité. Retirer ses liquidités placées en banque revient en effet à reproduire ce qui a déjà eu lieu, depuis 2008, à plusieurs reprises, en Grande-Bretagne, en Islande, et plus récemment en Irlande, sans faire s'écrouler autre chose que ce qui était déjà à terre. Il serait sans doute plus fructueux de s'inquiéter des mécanismes grâce auxquels leur auteur, transformé en porte-drapeau, a vu sa tirade acquérir la valeur d'un mot d'ordre, et lancer ainsi une mobilisation qui ne se donne pas d'objectif plus modeste, et plus accessible, que de faire la révolution. Le nom, la notoriété, la réputation, tous ces facteurs qui ont permis à leur propriétaire d'accumuler de considérables revenus publicitaires en complément de sa retraite sportive sont ici réemployés, pour les mêmes raisons, en visant un même effet, mais à titre gratuit. On s'étonnera aussi du paradoxal succès de l'initiative, qui fait beaucoup parler pour simplement dire que Canto aurait mieux fait de se taire. Mais on ne trouve là qu'ordinaire fortune médiatique, réactions de politiques, et de chefs d'entreprises, qui ne peuvent se permettre de ne pas avoir d'avis, occasion aussi pour les troisièmes couteaux de se faire entendre. En fait, au delà de l'anecdote, la question qui compte conduit à se demander ce que ces établissements bancaires qui, après tout, ne sont pas précisément des institutions neuves et doivent donc, depuis le temps, avoir trouvé quelque utilité ont bien pu faire pour que, aujourd'hui, tant de gens leurs veulent tant de mal. Impossible, dans une telle optique, de ne pas jouer le rôle de l'avocat du diable.

On trouve chez Verel une liste de doléances qui ne demande sans doute qu'à s'allonger. Coûts excessifs, tarifications indues, services de faible qualité, accueil déplorable. Autant de raisons qui, dans un marché concurrentiel, incitent à changer de fournisseur. Et c'est justement là que les difficultés apparaissent, parce que, dès que l'on connaît une situation un petit peu complexe avec des comptes et placements multiples, il devient difficile d'aller voir ailleurs, et parce que, justement, on sait bien que, depuis la conversion générale des mutualistes au grand capital, ailleurs, c'est la même chose qu'ici. Ce sentiment de se retrouver, sans possibilité d'évasion, prisonnier d'une entreprise commerciale se paye, pour cette dernière, par une assez franche hostilité. Mais un mécontentement de cet ordre fournit une raison bien maigre pour déclencher une révolution.
Aussi sort-on assez vite du domaine de l'expérience quotidienne, et de la rationalité. Les reproches que l'on entend çà et là, et à la télévision, montrent surtout à quel point les journalistes peuvent tout ignorer des sujets qu'ils traitent. Nicolas Domenach, accusant les banques de s'enrichir hors de proportion grâce au stocks options serait sans doute fort surpris d'apprendre qu'il témoigne ainsi d'un franc soutien aux actionnaires ordinaires, seuls à régler la note de ce mode de rémunération propre aux cadres dirigeants des grandes entreprises. Il faut comprendre, en première analyse, que ces récriminations confuses s'appuient sur la conviction que, depuis la crise de 2008, rien dans la politique de banques n'a changé, et que les tentatives politiques pour imposer plus de contrôle, et plus de taxes, ont échoué. Ce qui, en fait, est faux. L'ardente nécessité produisant les plus brutales révélations, même la Grande-Bretagne se convertit au principe d'une taxation, modeste, mais permanente, et propre au système bancaire, qui rapporterait annuellement près de trois milliards d'euros. A Bruxelles, on réfléchit en suivant, comme toujours, plusieurs pistes. La règlementation, d'autre part, se fait plus stricte, avec la prochaine entrée en vigueur de nouvelles normes prudentielles dites Bâle III et qui concerneront l'ensemble des acteurs du secteur financier. Ce qui pourrait produire quelques effets pervers.

Depuis 2008, jusqu'à aujourd'hui et à travers les frontières, nombre de ces événements qui ont entraîné la crise, de la chute des crédits hypothécaires subprimes américains à l'effondrement des building societies britanniques, des difficultés des Landesbanken allemandes et des caisses d'épargne espagnoles à la faillite du système irlandais, possèdent une origine commune. En accordant sans mesure des prêts aux familles peu fortunées pour leur permettre d'accéder à la propriété immobilière et, accessoirement, en recyclant comme saines ces créances risquées, les banques imprudentes ont enclenché la machine infernale. Ces établissements, en somme, sont punis d'avoir voulu prêter aux pauvres : mais la leçon qu'ils ont retenue les conduit désormais à se contenter de leur clientèle habituelle, les riches. Et c'est bien ce qu'il faut comprendre dans ces récriminations qui portent sur un crédit refusé, alors même que les taux sont au plus bas, ou sur un découvert sanctionné : ce reproche de ne rien avoir changé à leur comportement, et d'être toujours aussi exigeant envers un client captif, cache précisément le contraire. En durcissant, par prudence et par nécessité, les conditions de crédit, les banques changent, d'une manière qui paraît injuste et arbitraire, les règles de ce jeu si confortable de l'endettement sans fin.
Dès lors, comme dans l'esprit d'un adolescent auquel on coupe, brutalement, et sans explication, l'accès à WoW après minuit, germe l'idée de la vengeance. Mais puisque, malgré tout, on est bien forcé d'être adulte, il faut impérativement habiller cette réaction narcissique d'une justification acceptable, qui trouve sa source dans la si populaire vulgate anti-capitaliste. La pose du révolutionnaire a toujours autant de succès, et le défi sans risque et sans engagement lancé aux institutions réputées les plus puissantes encore fière allure. Mais il s'agit toujours du même jeu de petits bourgeois, qui permet de retrouver, avec exactement la même stupidité, et bien plus de complaisance, l'atmosphère rebelle des années d'après 1968, lorsque tout un chacun se devait d'être révolutionnaire et de réciter par cœur son catéchisme trotsko-maoïste.