C'était beau, sur le papier. Avec le Grand Paris, on allait permettre à des équipes d'architectes parmi les plus renommées d'inventer la métropole de demain, de rivaliser d'idées neuves et de perspectives audacieuses générées par ordinateur. Personne, bien sûr, n'ignorait que les temps sont durs, et qu'on doit donc laisser à d'autres le soin de construire les nouvelles merveilles du monde, la piscine suspendue de Singapour, la pyramide de Babel de Dubaï. Mais même, et peut-être surtout, grâce à des chantiers plus modestes, on pouvait malgré tout conserver l'essentiel, et imaginer de réorganiser progressivement la métropole sans souci des frontières administratives, ni des baronnies politiques. Pourtant, de tout cela, il ne reste aujourd'hui que le plus utilitaire, un schéma directeur pour aménager les transports publics, dans lesquels, entre le projet défendu par la Région et celui du gouvernement, les architectes tentent encore de se glisser.

Le projet du Syndicat des transports d'Île de France propose de refaire le RER A par le chemin des écoliers, en reliant les logements de l'est et les bureaux de l'ouest par une rocade passant par la zone dense des communes de la première ceinture, au lieu de couper par le centre. Déjà bien avancé, l'Arc se contentera, dans un premier temps, de ses rayons nord et sud, celui, sans doute, avec la densité de peuplement entre Issy et Vitry, qu'il faudra armer en premier ; il sera parcouru par un métro automatique essentiellement souterrain et son coût, étonnement modeste, même s'il ne concerne que la première phase, sera inférieur à 6 milliards d'euros. Mais il ne suffit pas. Rien n'est prévu, par exemple, pour mettre en relation les grandes opérations contiguës en cours dans le nord-ouest, Clichy Batignolles, les Docks de Saint-Ouen, Plaine Commune. Ce sera, en partie, le rôle du prolongement de la ligne 14, opération déjà à l'étude, mais intégrée dans le projet gouvernemental, celui du Métro Grand Paris. Ici, tout en reprenant une partie du projet régional de métro périphérique, on voit bien plus grand, et bien plus loin, reliant gares et aéroports aux pôles d'activité internationaux, les affaires à La Défense, la recherche à Saclay ; ici, on n'assure plus les déplacements des habitants d'une commune à l'autre, mais ceux de la richesse et du savoir entre la métropole et le monde entier. En conséquence, c'est beaucoup plus cher, puisque le coût prévisionnel dépasse les 23 milliards d'euros.
Ces deux visions, on l'aura compris, se révèlent bien peu compatibles. La réconciliation prendra du temps, mais l’État et la Région viennent tout juste de signer la paix : en gros, on fusionne et, donc, les coûts s’additionnent, et on atteint maintenant les 32 milliards d'euros. Et les élus, qui tiennent à leur projet, on déjà répartit la charge, en la divisant en quatre parts approximativement semblables : un quart pour l’État, un quart pour la Région, un quart pour les automobilistes, et le reste via l'emprunt. En somme, on retrouve un bon vieux plan, du genre de ceux que l'on élaborait durant les années 1960 et 1970 pour inventer quelques-uns de ces acronymes que, alors, les polytechniciens adoraient, TGV, RER ou, plus modestement OrlyVAL. Cela n'a rien d'étonnant puisque les mêmes bureaux d'études composés des mêmes ingénieurs, urbanistes et cartographes font la même chose : tracer des plans sur la comète. Car on sait bien ce qui, quarante ans plus tard, a changé, puisque la comète est partie et qu'elle ne reviendra pas de si tôt.

La propriété économique fondamentale des réseaux publics de transport en commun, Rémy Prud'homme le rappelle, est de cumuler les dettes, puisqu'à l'investissement initial s'ajoute un coût de fonctionnement pris en charge par le contribuable bien plus que par l'utilisateur. Or, ce qu'on pouvait se permettre durant les Trente glorieuses a cessé d'être, et les plans les plus magnifiques, les cartes les plus colorées, passeront au broyeur du mur de la dette. Déjà, on peut, sans gros risques, spéculer : la rocade des employés, celle qui connaîtra la plus forte fréquentation, progressivement, verra sans doute le jour. La ligne des cadres, qui la recoupera en partie, entre La Défense, Pleyel, et Roissy, peut-être aussi. Le reste ne sortira pas des cartons, et les habitants de Monfermeil n'ont pas fini d'attendre leur désenclavement. Quand le réel reviendra et que les arbitrages s'imposeront, il ne restera du Grand Plan que ses éléments les plus modestes, les plus urgents, les plus utiles aussi, tels le prolongement jusqu'à Pleyel de la ligne 14. Il en sortira, en somme, ce qui existe déjà sur le terrain, et pas seulement dans les bureaux d'étude, et qui ne fait que prolonger la politique d'investissement constante, mais limitée, que conduisent des entités comme la RATP depuis déjà bien longtemps.