Il arrive que les préfets aiment les champs, les landes ou les garrigues. Ils peuvent aussi se prendre de passion pour des collines rocheuses et désertiques, et encore plus sauvages depuis l'incendie qui détruisit leur végétation en 2009. Mais l'amour du mont Saint-Cyr, qui sépare Cassis de Saint-Marcel, mérite sans doute que l'on se dévoue au point de largement excéder le cadre de ses fonctions. Ainsi, en 2010, le préfet des Bouches-du-Rhône et de la région PACA décida-t-il d'interdire le prologue de l'enduro IPONE Maya Marseille-Maroc, déjouant ainsi la stratégie de ses créateurs. L'enduro, cette discipline du sport motocycliste qui se déroule avec des machines proches du moto-cross, mais homologuées pour la route, et conjugue, à l'image du rallye routier, liaisons et spéciales disputées au milieu des bois constitue depuis des années une cible de choix pour l'activisme écologiste, dans sa tentative de réserver la jouissance des espaces publics naturels à ses seuls militants et sympathisants. Inauguré en 2008, l'épreuve en question ne pouvait raisonnablement ignorer un tel fait : aussi se contente-t-elle, sur le sol national, d'un court prologue, avant d'embarquer à destination du Maroc et de son désert où les concurrents pourront faire tout le bruit qui leur chante, tout en profitant à l'étape du confort d'une hôtellerie quatre étoiles. Jugeant peu convaincantes les justifications de la préfecture, le tribunal administratif avait déjà, en 2010, autorisé le prélude.
Il faut dire que, prévoyants et réalistes, les organisateurs de l'enduro se gardent bien de fouler de leurs crampons le moindre espace naturel, la plus petite zone ouverte au public, puisqu'ils bénéficient de la généreuse hospitalité du 4ème régiment de dragons, installé à demeure sur le camp de Carpiagne, terrain de manœuvre des chars Leclerc à l'intérieur duquel se déroule la compétition. Autant dire que l'on ne peut que regretter que le tribunal administratif de Marseille n'ait pas jugé bon de publier les motifs de sa décision. Aussi, on ne connaîtra pas sa réaction face aux justifications avancées par la préfecture, puisque celle-ci prétextait, pour interdire l'épreuve, l'érosion de sols habituellement labourés par des chars de combat de cinquante tonnes que celle-ci ne manquerait pas de causer. Malgré tout, en 2011, le préfet récidive : son argument, cette-fois ci, invoquant à la fois la nécessité de favoriser les véhicules économes en énergie, et l'avenir d'un lieu destiné à devenir parc naturel, montre que, décidément, l'on a bien affaire à un poète. Odieusement terre à terre, comme tout gardien du droit, le tribunal administratif vient, pour la seconde fois, de lui donner tort.

De façon purement spéculative, on peut sans doute lire derrière cette obstination une question rarement abordée mais qui, lorsqu'elle l'est, est toujours réduite à sa dimension ou politique ou syndicale, celle du militantisme des agents de l’État qui choisissent de défendre une cause, et s'engagent donc à titre d'entrepreneurs de morale. Les éléments manquent pour appuyer l'analyse, d'autant que cette censure répétée du sport motocycliste provençal ne peut être ramenée à une trajectoire personnelle, les deux interdictions ayant été prononcées par deux préfets différents. Sans doute faudra-t-il alors chercher quelque par dans leurs services l'individu qui milita pour cette décision, laquelle restera suffisamment mineure, ou assez gênante, pour ne pas justifier d'un communiqué. Mais cet acharnement, cette volonté de ne pas laisser le moindre espace à l'adversaire et d'utiliser à cette fin tous les moyens possibles, abus de pouvoir compris, portent bien la marque du défenseur d'une cause laquelle, par définition, avec sa justification morale, surpasse toute autre considération et, notamment, de droit. Et on ne peut manquer de dresser un parallèle entre cette histoire et l'aventure, déjà évoquée ici, de la Croisière Blanche, interdite elle aussi par arrêté préfectoral. Ce parallèle, pourtant, trouve sa limite dans la stratégie choisie, face au défi préfectoral, par les organisateurs. Préférant la fuite au combat et optant donc pour une solution que, en se départant de sa légendaire neutralité axiologique, l'on n'hésitera pas à qualifier de honteuse, les organisateurs de la Croisière Blanche ont définitivement rendu les armes, et choisi de faire désormais circuler sur les routes le sympathique petit train des véhicules anciens. Les Marseillais, eux, comme à leur habitude, ont choisi l'affrontement.

En cela, ils seront efficacement secondés par un acteur qui, chaque jour un peu plus, abandonne sa traditionnelle posture légitimiste pour un militantisme de plus en plus virulent, la FFM. La fédération du sport motocycliste se trouve certes, depuis des années, et pas seulement dans le domaine du tout-terrain, et quand bien même l'épreuve aurait lieu en salle, confrontée à un activisme administratif qui menace, de façon totalement aléatoire, tellement de terrains ou de compétitions qu'elle se condamnerait en ne réagissant pas. Mais,à l'évidence, sa nouvelle politique doit beaucoup à la récente arrivée à sa tête de Jacques Bolle. L'homme qui, en 1983, devant les caméras d'Antenne 2, inscrivit la seule victoire en Grand Prix de la 250 Pernod ne possède pas seulement une authentique légitimité sportive : titulaire d'un DESS de droit du sport, il se distingue donc de son ancien compagnon d'écurie à la fois par ses titres universitaires, et par cette connaissance du droit grâce à laquelle, avec l'appui des juristes de la FFM, l'arme de la guérilla juridique peut être efficacement retournée contre ses principaux utilisateurs, la galaxie des associations de défense de tous ordres, et leurs soutiens administratifs. À lire les communiqués que publie désormais l'autre fédération du monde motard, il n'est plus permis d'en douter : la FFM mérite bien un C d'honneur