Avec Authueil, Hugues et Verel, le front des Lieux Communards se reconstitue en une coalition d'occasion réunie dans la défense d'une cause dont on ne saurait mettre en doute ni la noblesse ni l'utilité, le soutien à une politique strictement répressive en matière de sécurité routière. L'ennemi, lui aussi, est commun : ces députés-démagogues qui, jouant contre leur camp, sont déjà, un an avant les élections, partis à la chasse aux voix, et relayent en les amplifiant les doléances d'électeurs qui font la queue dans leurs permanences, pleurant sur leurs points perdus, menaçant, si on n'arrange pas leur affaire, de voter pour l'adversaire. Bien sûr, l'action contre nature de ces députés de droite relève du pur clientélisme. Mais au milieu de tous ses défauts le clientélisme possède au moins cette qualité d'exprimer, bien que de façon purement locale, la vox populi. Chaque année, de l'ordre de six millions de personnes soit, très grossièrement, un conducteur sur cinq, se voient retirer au moins un point sur leur permis : indiscutablement, on n'a jamais inventé machine aussi efficace à produire des mécontents en grande série. On peut, alors, au delà de l'anecdote et du moment présent, s'interroger sur ces décisions politiques qui, avec l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Intérieur en 2002, on présidé au choix de cette option répressive, et se demander si celle-ci ne vient pas, avec la révolte des députés populo, de trouver une limite qui, peut-être, pourrait se révéler dans bien d'autres domaines que celui-ci.

Quelles sont, en effet, les causes de l'accidentalité routière ? Depuis 2002, celles-ci, telles qu'elles s'expriment dans les discours d'une incomparable pauvreté du ministre désormais en charge de la question, ne portent que sur la responsabilité des conducteurs, avec toujours deux modalités essentielles, l'alcool un peu, la vitesse surtout. Les rapports annuels de la sécurité routière sont pourtant remplis de séries statistiques souvent longues, dont certaines fournissent matière à de très intéressantes expériences naturelles. Ainsi en est-il de celle, interrompue depuis 2006 mais que l'on trouve encore en page 18 du bilan 2006, qui compare, pour 100 millions de kilomètres parcourus, l'évolution du nombre d'accidents sur les autoroutes, et sur les routes nationales entre 1986 et 2005. En près de vingt, cette accidentalité a été divisée par deux sur les autoroutes, passant de 10 à 5, et par quatre sur les nationales, passant de 28 à 7. Or les conditions de l'expérience permettent de réfuter les explications qui tiendraient à l'évolution du trafic, à l'accroissement de la répression ou au changement de règlementation, puisque leurs effets, identiques dans les deux cas, s'annulent. L'aménagement des infrastructures permet seul d'expliquer l'écart : conçues dès l'origine pour combiner vitesse et sécurité, les autoroutes ne changent pas au cours du temps. S'agissant de voies récentes, bien surveillées et bien entretenues, elles présentent sur ces points les meilleures caractéristiques. La baisse deux fois plus importante de l'accidentalité des nationales ne peut donc trouver sa raison d'être ailleurs que dans les investissements faits sur ces seules routes, le passage à deux fois deux voies, la modification des points noirs, l'aménagement des carrefours, le traitement des virages dangereux, et absolument pas dans l'installation en plus grand nombre de radars automatiques, laquelle n'intervient qu'en toute fin de période, à partir de 2004. Ce qui, évidemment, ne fait pas l'affaire du pouvoir.

Cette politique, en fait, répond à des objectifs contradictoires, dont le premier concilie le développement d'un réseau qui s'autofinance à peine, le système du contrôle-sanction automatisé, avec les contraintes budgétaires globales, lesquelles portent en particulier sur les effectifs de la fonction publique, objectif grâce auquel moins, c'est plus : on l'a déjà dit, et un commentaire pertinent le rappelle, plus de radars, c'est moins de policiers sur les routes. Plus de contrôles des petits écarts des citoyens ordinaires, c'est moins de capacité à réprimer les chauffards, ceux qui, comme l'écrit Jean-Marie Renouard, décident en permanence de violer et les règles et les lois, et dont le comportement échappe aux dispositifs fixes contrôlant la seule vitesse. Dans la perspective purement électoraliste et de très court terme privilégiée par la présidence, cette répression des conducteurs n'est pas nécessairement contre-productive : car il s'agit, contrairement à ce que raconte Hugues, qui écrit trop et se montre en l'espèce bien moins documenté qu'un de ses camarades d'écurie, de séduire deux catégories substantielles d'électeurs dont on pense, à tort ou à raison, qu'ils ont plus à gagner qu'à perdre dans l'affaire, les mères de familles et les personnes âgées. Pour justifier cette position, il suffira de relayer fidèlement, jusqu'à reprendre à son compte son imagerie pieuse, les thèses répressives, totalisantes et infantilisantes du principal propriétaire du problème, la Ligue contre la violence routière. La sécurité routière, en apparence, constitue ainsi un cas unique d'une politique publique qui s'appuie sur une idéologie radicale.
Il s'agit, en somme, comme souvent depuis trente ans, et pour les mêmes raisons électoralistes et court-termistes, de préserver les avantages de ceux qui ont eu le temps d'en acquérir, de privilégier les inactifs au détriment des actifs, de jouer les vieux contre les jeunes. La révolte de ceux qui ont besoin de leur permis pour aller travailler n'est jamais que l'expression circonstancielle et anecdotique, limitée au champ réglementaire et donc à un domaine sur lequel le législateur, quand bien même il n'aurait pas son mot à dire, peut au moins se permettre de hausser le ton, du sentiment plus général d'une population pour laquelle s’accumulent des difficultés de tous ordres, et qui subit comme une insupportable injustice le fait de porter seule un fardeau qu'elle juge bien mal réparti. Ici comme ailleurs, la sécurité routière, qui joue, pour les autorités, un rôle de prototype, peut aussi servir de précurseur : la limite qui semble aujourd'hui atteinte dans la répression, dans le contrôle automatisé du citoyen, dans l'assimilation systématique de l'erreur, voire de la faute, à la délinquance, dans la promotion d'une morale hygiéniste, rigoriste et punitive contre une expression libérale et hédoniste trouvera sans doute l'occasion de s'appliquer ailleurs.