L'incendie était à peine éteint que, déjà, l'AFP recueillait les commentaires des politiques les plus empressés, membres pour l'essentiel de la galaxie écologiste. Une telle sollicitude les honore : l'explosion qui s'est produite dans un four destiné à fondre des déchets métalliques a tué l'un des ouvriers présents, très gravement brûlé le second au point que l'étendue de ses blessures ne laisse guère de doute sur une issue fatale qui surviendra sans doute dans quelques jours, ou quelques semaines, et atteint plus légèrement trois de leurs collègues, lesquels se trouvaient dans un local voisin. Pourtant, de ces seules victimes de l'accident, les écologistes n'ont que faire : la brève allusion d'Eva Joly aux "risques encourus par les travailleurs du site et la population locale" ne s'adresse pas aux victimes réelles, mais à des individus fictifs qui, dans d'autres circonstances, auraient pu recevoir des doses de rayonnements ionisants. Les autres réactions politiques, celle d'Aurélie Filipetti pour le PS, celle aussi de Cécile Duflot, ne mentionnent même pas le fait décidément trivial qu'il y a eu mort d'homme, se contentant d'essayer de tirer, le plus vite possible, un profit politique d'un événement qui dispose en l'espèce d'un certain potentiel, puisqu'il permet d'associer ces deux mots indispensables aux marchands de peur, mort, et nucléaire.
Dans le processus en cause, les radio-éléments n'existent pourtant qu'à l'état de traces : selon le communiqué de l'IRSN, les déchets de très faible activité contenus dans le four représentaient un total de 63 kBq, soit un rayonnement comparable à celui qu'émettent huit individus de corpulence moyenne. Quand bien même, précise l'IRSN, cette radioactivité se serait-elle retrouvée dans l'environnement, il aurait était impossible de l'y déceler. Voilà, sans doute, qui explique en partie la promptitude de la réaction des opposants à l'électronucléaire, sautant sur une occasion qui, même en des temps moins troublés, n'aurait, faute de matière, connu qu'une très brève existence médiatique. Ce qui ne peut manquer de susciter quelques réflexions.

Car ce monde de l'atome, tel qu'il existe au-delà de l'ignorance entretenue du citoyen à son égard, ne se révèle pas seulement, trivialement, complexe : il est aussi bien plus divers, et infiniment plus diffus, que ce dont les discours des contempteurs de l'électronucléaire rendent compte. Ainsi, un des plus graves accidents du genre s'est-il produit dans un pays qui, hydroélectricité oblige, se contente pour l'heure des deux réacteurs de son unique centrale, le Brésil. À Goiânia, en 1987, des ferrailleurs à la recherche de matériaux dans un institut de radiothérapie abandonné ont démantelé un appareil et récupéré sa source radioactive ; l'un d'eux l'a emportée dans son jardin et, intrigué par la poudre magique qu'elle contenait et par sa jolie lueur bleue, l'a montrée aux voisins. Quatre personnes périrent, plusieurs dizaines furent contaminées, amputées parfois du bras ou des mains ; l'activité de la source, 50 TBq, en dit long sur le danger qu'elles ont couru. Cet appareil, pourtant, n'avait d'autre destination que thérapeutique, et d'autre raison d'être que de sauver des vies : ses semblables, contrôlés par l'ASN, surveillés par l'IRSN existent par centaines sur le territoire national, où ils représentent historiquement le plus grand danger que l'utilisation de l'atome fasse courir aux populations civiles. Bizarrement, ils ne font peur à personne sauf, sans doute, à ceux qui en ont déjà été victimes.
Paradoxalement, ce monde souffre aussi de la régulation stricte, et de la surveillance étroite dont il est l'objet. La réglementation produit cette classification des déchets qui, évidemment, distingue soigneusement ce qui pose problème, les résidus du recyclage des combustibles, de la masse des produits ordinaires dont certains, ceux que les ouvriers de CENTRACO fondaient lors de l'explosion, ne sont guère considérés comme tels qu'en raison de l'origine artificielle de leur activité. La surveillance génère cette interminable liste d'incidents qui, là encore, n'ont pour l'essentiel aucune conséquence en matière de sécurité, et ne sont rapportés que par routine administrative. Former l'appréciation éclairée du citoyen implique précisément de l'instruire en ces matières ce que, d'ailleurs, les divers intervenants publics, organismes de contrôle en premier lieu, se chargent bien volontiers de faire, l'ASN entretenant même une boutique ouverte au public.

Ils travaillent, pourtant, en vain, puisque, dans la logique orwellienne de l'ère du soupçon entretenu, plus de transparence c'est plus de camouflage, leurs efforts ne se justifiant que s'ils nous cachent quelque chose. La leçon, si souvent répétée qu'on ne saurait désormais concevoir qu'elle soit contestable, n'a aujourd'hui plus besoin que d'être régulièrement ressassée, dès que l'occasion se présente. La fréquence des incidents, comme dans toute activité industrielle complexe et fortement développée, garantit que l'attente ne sera pas trop longue. D'une certaine façon, on perçoit dans les réactions précipitées des écologistes à l'accident de Codolet une forme de dépit, un certain regret que l'affaire ne soit pas plus grosse, et qui explique en partie leur précipitation à réagir, avant que celle-ci ne s'éteigne. Alors, que lire d'autre dans les propos des professeurs de vertu citoyenne que dissimulations et mensonges, ces écarts que, bien sûr, on ne peut se permettre que pour la bonne cause, exploitation d'une ignorance aussi répandue que soigneusement cultivée, et pur opportunisme ? Mais que peut-il bien y avoir de neuf, alors, dans cette façon de faire de la politique ?