Le web, parfois, réserve encore de ces surprises qui, d'un coup, lorsque le gif animé vaut comme témoignage d'une audace follement moderne, vous ramènent des années en arrière, au bon vieux temps des industries lourdes, à l'époque du règne des ingénieurs, ces gens chez lesquels le mépris de l'esthétique atteint des dimensions éthiques. À la fin du mois de septembre, le Centre Interprofessionnel Technique d’Études de la Pollution Atmosphérique a passé le cap du cinquantenaire ; la visibilité sur la toile ne faisant visiblement pas partie de ses tâches prioritaires, on dispose seulement maintenant d'un document retraçant ces cinquante années consacrées à un objectif que l'on aurait pourtant juré d'invention beaucoup plus récente, et dont on n'imaginait pas qu'il puisse s'incarner en la personne du président des Houillères du Bassin de Lorraine, la lutte contre les pollutions atmosphériques. L'histoire que raconte le CITEPA bouscule donc les idées reçues, puisque la naissance de l'organisme précède de quinze ans les premières marques d'intérêt public pour les questions qu'il traite et, accessoirement, les débuts du militantisme écologiste.
Son site web tout moche recèle pourtant un trésor, puisque le CITEPA est sans doute le seul organisme en mesure de fournir des séries statistiques retraçant, sur une période qui atteint parfois, donc, cinquante ans, à la fois l'évolution en volume des émissions de polluants, et leur répartition en fonction des émetteurs. Cette évolution se révèle, le plus souvent, radicale : les métaux lourds comme le plomb, qui cesse d'exister après sa prohibition dans les carburants, le cadmium, le zinc, ne subsistent guère qu'à titre de reliquats, le dioxyde de souffre disparaît avec le remplacement du charbon au profit du gaz, et du nucléaire, tandis que les polluants liés aux véhicules à moteurs thermiques, monoxyde d'azote, composés organiques volatiles, baissent significativement. Les exceptions sont rares, et difficilement maîtrisables, à l'image de ce méthane qui contribue puissamment à l'effet de serre, et provient essentiellement de l'élevage bovin.
Comment, alors, répondre à la question de Verel ? Comment expliquer que même des individus éduqués puisse tranquillement répandre l'idée d'une détérioration de l'air ambiant, et d'une aggravation de la mortalité liée à cette situation ? Un article du Monde consacré à l'anniversaire du CITEPA permet, dans la manière dont y sont agencées des données pas vraiment fausses, mais très soigneusement biaisées, de fournir un embryon de réponse.

Le titre de l'article donne le ton, et l'argument que développera la journaliste : la pollution atmosphérique d'aujourd'hui n'est pas moindre que celle d'hier ; elle est juste différente. Le sujet étant technique, elle va appuyer sa démonstration sur des chiffres et des experts que, saint principe de neutralité oblige, elle choisira dans deux camps en principe opposés. Sauf que présenter une liste de polluants en affirmant, données du CITEPA à l'appui, que leur présence dans l'atmosphère a baissé de "50% et plus" revient à tromper sciemment son monde, puisqu'on incite ainsi le lecteur à ne retenir que ce chiffre de 50%, alors que, selon les cas, la baisse atteint 88%, 92%, 95%, voire 98%. Citer comme facteur d'amélioration l'abandon des industries polluantes à la fois est historiquement faux, et revient à nier totalement le rôle de l’État, dans la production d'une règlementation de plus en plus stricte, et des industriels, qui ont investi les montants nécessaires pour respecter les normes. La filière textile, par exemple, a presque totalement disparu ; elle ne se distinguait pourtant pas par l'importance de ses rejets atmosphériques. Les cimenteries, les usines chimiques, les raffineries, les centres d'incinération d'ordures ménagères, à l'inverse, sont toujours là. Si les rejets de dioxines produits par ces derniers ont diminué au point, comme le concluait voilà déjà quelques années un rapport de l'INVS, d'être désormais indiscernables du bruit de fond, c'est bien parce que les investissements nécessaires ont été réalisés. Un centre désormais qualifié de revalorisation des déchets, autrefois caché comme une maladie honteuse, fait aujourd'hui la fierté de toute une agglomération, jusque dans son architecture spectaculaire ; il est vrai qu'à 600 millions d'euros le bout, on peut se permettre de laisser une petite pièce à l'architecte.
Quant aux experts, il semblait inévitable d'en choisir un au CITEPA, en la personne de son président ; le second, à titre contradictoire, sera, ce qui n'étonne personne, un élu Vert ; mais leur intervention fournira l'occasion d'un glissement total, puisqu'on cessera de parler d'industrie pour se consacrer au dernier tueur à la mode, les particules fines, et vilipender leur initiateur, les moteurs diesel. Sauf que, en effet, la singulière préférence nationale pour le diesel, qui met les raffineurs au désespoir, n'a d'autre origine qu'une volonté de favoriser l'industrie automobile nationale, spécialiste de la chose, avec un cadeau fiscal sur le gazole. Quant au chiffre de 42 000 morts que, paraît-il, le ministère de l'écologie attribue à ce seul polluant, ce qui représente, en 2009, près de 8% de la mortalité totale, on aimerait qu'il soit confirmé par CépiDc : l'asthme, par exemple, cité dans l'article, n'a causé en 2009 que 832 morts. À moins que l'on ne regroupe sous une même et unique cause la grande famille des maladies pulmonaires : dans ce cas, les fumeurs peuvent être rassurés, et s'abandonner sans crainte à leur passion blâmable.

On voit, ainsi, comment s'organise la démarche de la journaliste du Monde. Sauf à lui opposer des données qui ne peuvent exister, impossible de contester le constat du CITEPA, et de nier les énormes progrès réalisés en matière de pollution atmosphérique depuis le pic du début des années 1970. Il faut donc l'attaquer de biais, d'abord en imputant ceux-ci à des causes indépendantes de la volonté des industriels, ensuite en déplaçant le problème sur un terrain qui ne les concerne pas, et sur lequel le CITEPA ne possède pas de compétences particulières. Ce domaine, à l'inverse, le diesel en ville, constitue l'un des terrains de chasse favoris des écologistes, et un gibier d'autant plus valorisable que, puisque même Airparif ne mesure que depuis très peu d'années la densité atmosphérique de particules fines, les données manquent, et les assertions les plus osées ne courent en conséquence pas de risque d'être démenties par l'un ou l'autre de ces ingénieurs bornés qui ne savent rien faire d'autre que lire leurs instruments de mesure. Ainsi fonctionne désormais le grand quotidien du soir, dans lequel, au moins sur les questions environnementales, izvestia et pravda deviennent aussi rares que le plomb dans l'atmosphère.