Une bonne pratique sociologique implique de prendre aux sérieux les intentions et les actions des acteurs, aussi bien que leurs justifications ; et pourtant, il faut bien l'avouer, parfois, la meilleure volonté du monde échoue à mettre en œuvre un tel principe. Mais puisque le renoncement ne figure pas au nombre des options offertes à l'analyste, on se doit de passer au filtre de la rationalité la dernière déclaration d'Eva Joly. Celle-ci, du moins, respecte une logique, celle de l'intensification de la menace qui précède une entrée en guerre, puisque, dimanche dernier, la candidate écologiste aux prochaines élections présidentielles est passée du diktat à l'ultimatum, fixant une échéance à un accord électoral avec le parti socialiste, revendiquant sa part des dépouilles d'un ours qui reste à tuer, exigeant l'arrêt définitif du chantier de l'EPR de Flamanville et, donc, le sacrifice des quelques petits milliards d'euros engagés dans l'opération, et, accessoirement, posant, par là-même, une fois de plus, une redoutable énigme aux scientifiques.
Sur la tactique, on peut hasarder quelques hypothèses. Un accord électoral ne représente jamais qu'un cas particulier de transaction commerciale, dans laquelle on échange des voix contre des postes. Impossible, bien sûr, de reconnaître ce fait : aussi faut-il soigneusement l'envelopper de principes, le cacher sous un emballage de vertu et, pour la galerie, montre ses muscles, et proclamer son intransigeance. Une des particularités du mouvement écologiste consiste peut-être en ceci que les principes y sont sacrés, et la vertu pas négociable, le genre de situation qui complique la tâche des médiateurs. Étonnamment confiant dans sa capacité de nuisance, le parti vert imaginait sans doute trouver en la personne du candidat socialiste cet être faible et rompu aux compromis que, avec autant de mépris que de complaisance, l'on a si souvent décrit. La sèche réaction de François Hollande montre à ceux qui en doutaient qu'il vaut mieux ne pas trop se fier aux réputations, surtout lorsqu'elles sont construites par vos adversaires.

Cette erreur tactique, qui n'étonne guère de la part d'une Eva Joly, mais sans doute un peu plus venant de son entourage, trouve vraisemblablement sa source dans une revendication exprimée par la candidate écologiste, et qui vaut comme une certitude, celle de posséder le monopole de la façon de concevoir la société de demain. Ainsi faut-il comprendre la phrase où elle affirme ne pas être un supplétif du Parti Socialiste, en inversant son sens : puisqu'il appartient aux seuls écologistes de définir ce que sera l'avenir, le rôle historique des socialistes se limite à fournir les effectifs d'électeurs nécessaires à l'accomplissement de ce destin. On devine aisément ce que de telles conceptions doivent à l'exhumation d'un dossier oublié au fond des archives des mouvements d'extrême-gauche ; et on trouvera une éclatante confirmation de ce fait dans l'ethos que révèle le programme qui conduira nécessairement à l'avènement de la société en question.
Sa première caractéristique, en effet, est d'être, au sens propre, révolutionnaire : il vise à construire un monde dans lequel il n'y aurait d'autre énergie que labellisée renouvelable, d'autre moyen de transport que collectif, d'autre agriculture que la polyculture d'avant guerre, reconstruite sur le modèle tant vanté des exploitations de subsistance des pays peu développés. De façon plus singulière, il prévoit aussi d'interdire l'alimentation carnée, sauf à trouver un moyen de tuer sans maltraitance. Car on repère facilement, dans ce catalogue à la cohérence seulement formelle, les mesures qui sont le fruit d'un activisme particulier, porté par quelques individus, et celles qui reprennent des termes bien fugitifs mais aujourd'hui en vogue, sensibilité électromagnétique ou obsolescence programmée. Le principe, en fait, consiste à fabriquer un système où l'on contrôlera tout et dépensera beaucoup. Pour le financer, on mettra à contribution les marchés et les foyers en proportion de ce que la morale réprouve : les paradis fiscaux, les riches, les entreprises, les pétroliers, les publicitaires, les producteurs de carbone et, justement parce qu'il n'en est pas, l'électronucléaire.

Un programme, en somme, qui prévoit de contraindre et punir et dévoile les pensées secrètes de l'idéologie verte ; malheureusement, son financement repose entièrement sur la capacité des marchés à se conduire comme des bons citoyens, dont on attend qu'ils maintiennent des activités qui n'ont d'autre raison d'être que lucratives une fois que les profits ainsi générés auront été généreusement offerts à la collectivité. On semble avoir bien vite oublié que l'objectif de la taxe Tobin n'était pas de produire des rentrées fiscales, mais de décourager certains investissements spéculatifs de court terme en les privant de leur pertinence. La meilleure preuve du succès de cette taxe, le meilleur garant de son efficacité, c'est donc de ne plus rien rapporter. Ainsi veulent se financer les écologistes, à l'abri de toute logique économique, avec comme seule certitude leur vertu. On accuse trop souvent leurs propositions d'être illusoires : les prendre au sérieux implique de reconnaître, à l'inverse, qu'elles sont réalisables, à la condition impérative de construire une société autoritaire, animée par une armée de contrôleurs chargés de scrupuleusement vérifier l'inefficacité de l'activité économique.
Étranglé par la concurrence et les surcapacités, Photowatt dépose son bilan, tandis que, depuis un sommet atteint en juin 2008, l'action de Vestas, premier producteur mondial d'éoliennes a perdu 88 % de sa valeur, imitée en cela par celle de son concurrent espagnol Gamesa. Toujours impatient, le marché n'attend pas 2012 pour estimer à une valeur qui lui paraît juste les entreprises qui jouissent des faveurs écologistes, et vivent des subventions obtenues grâce à elles. Ancré dans la réalité, et même sur un point où l'accord pourrait se faire, le détestable marché ne partage décidément en aucune façon les vertus vertes.