Bien sûr, un programme électoral n'est jamais qu'un empilage de thèmes en vogue, le jeu consistant à piocher dans le fonds commun des sujets obligés, la dette, le chômage, la protection sociale, de manière à composer un menu personnalisé qui obéira à une double contrainte, se distinguer de l'adversaire tout en restant suffisamment simple et concis pour tenir sur une dépêche d'agence, ou dans un sujet de journal télévisé. Mais il n'est pas superflu d'aller voir ça de plus près, et de creuser un peu une proposition particulière d'un parti spécifique, puisqu'une des propriétés du parti en question tient dans sa forte signature intellectuelle, qui lui permet d'appuyer son programme sur une quantité d'études, et sur de gros bataillons de militants-chercheurs. Les Verts l'affirment, leur révolution écologiste entraînera la création d'au moins 600 000 emplois, étalée sur cinq ans ; Il serait sans doute un peu mesquin de souligner le procédé, le cumul permettant de grossir des effectifs qui ne représentent jamais que 120 000 postes par an, alors même que l'UNEDIC, écrivent aujourd'hui Les Échos, prévoit pour 2012 200 000 suppressions. La réalité semble en effet bien cruelle, et les récents licenciements chez Vestas, comme d'autres l'ont déjà noté, sonnent comme un douloureux rappel pour ceux qui veulent ignorer que celle-ci a toujours raison. Ce qui ne rend que plus intéressante l'analyse de la manière dont il sera bientôt possible de renverser les montagnes, et de créer des emplois durables et rentables sur la base d'activités subventionnées.
On s'appuiera pour cela sur une étude parmi d'autres, produite en l'espèce par Philippe Quirion, chargé de recherche au CIRED, institut qui semble s'occuper pour l'essentiel de modéliser le fonctionnement des économies peu productrices de CO2, à l'intention du WWF, et qui présente un scénario grâce auquel la réduction de 30 % de ses émissions de CO2 permettra au pays de gagner 684 000 emplois. Inspirée des travaux de l'association négaWatt, cet article s'en éloigne en un point crucial, puisqu'il ne s'intéresse pas au sort de l'électronucléaire ce qui, en plus de créer une divergence sensible avec le programme Verts, n'est pas sans conséquence. Cette impasse bouleverse, en fait, le scénario. Car si celui-ci insiste sur la réduction du recours aux énergies fossiles, c'est parce que, à cause cette production d'électricité décarbonnée qui caractérise la situation française, il ne reste guère ici d'autres sources significatives de CO2. Or, arrêter les centrales nucléaires entraîne inévitablement une hausse des émissions de carbone puisque l'on aura supprimé le principal moyen d'obtenir de l'électricité sans carbone, moyen dont on sait l'importance qu'il occupe dans notre pays, et qu'il faudra bien remplacer par quelque chose, puisque, pour faire face à l'arrêt de 80 % des capacités de production d'électricité, la sobriété risque de ne pas suffire. Mais l'étude présente malgré tout un intérêt essentiel puisque son auteur, en économiste, détaille avec précision, secteur par secteur, les mutations du marché de l'emploi que ses propositions entraînent ; il ne dit mot, par contre, des conséquences sociales de son économie nouvelle.

La grande mutation verra donc la migration d'emplois détruits, dans l'automobile et les énergies fossiles, vers des secteurs en croissance, les filières renouvelables et l'efficacité énergétique, et le bilan en sera fortement positif, puisque le contenu en emplois de ces nouvelles activités est bien supérieur à celui des "secteurs en décroissance", tandis que la mutation sera d'autant plus bénéfique que les emplois en question, peu qualifiés pour l'essentiel, correspondent précisément aux capacités des plus gros effectifs de chômeurs. Cela semble si merveilleux que l'on se demande pourquoi diable ne pas y avoir pensé plus tôt, et dans quels sombres détails celui-ci peut bien se cacher.
Une partie significative de ces emplois, pour commencer, n'a rien de neuf puisque le vocable d'efficacité énergétique recouvre ce que l'on appelait autrefois plus prosaïquement travaux d'isolation thermique ; ces travaux, certains les ont réalisés depuis fort longtemps et sans l'aide de personne. Mais inventer un nouveau terme pour désigner une pratique ancienne permet de revendiquer la paternité de la pratique en question, et on aurait bien tort de se priver de ce bénéfice symbolique, et gratuit. Ces emplois, de plus, comme une bonne partie de ceux qui seraient générés par l'implantation d'éoliennes et de centrales photovoltaïques, appartiennent à un seul secteur, le BTP lequel, faute d'attractivité, éprouve déjà des difficultés à satisfaire ses besoins de main d’œuvre. En outre, et par définition, ces emplois n'auront qu'un temps : et il est quand même surprenant que les spécialistes auto proclamés du durable se préoccupent si peu du long terme.
Le grand changement connaîtra aussi son volet industriel, la destruction des emplois dans l'automobile étant compensée par les transports en commun, et l'énergie ; mais là, plusieurs difficultés surgissent. Ces industries, d'abord, ont cessé d'être une spécialité locale, et si le carnet de commandes d'Alstom reste bien garni, c'est en partie grâce à la demande en infrastructures des pays émergents. Encore peu à même de produire ces structures complexes que sont les avions, les turbines à gaz, ou les centrales nucléaires, ils sont, et les exemples de la filière photovoltaïque en Chine ou de l'indien Suzlon le montrent, totalement compétitifs lorsqu'il s'agit de technologies plus accessibles et adaptées à la grande série. Les déboires de Vestas ou de Photowatt sont là pour rappeler à qui profitent des subventions que payent les seuls consommateurs locaux.
Car le troisième obstacle est d'ordre financier. Rémy Prud'homme a montré que l'abandon de l'automobile au profit des transports en commun implique un transfert d'un secteur fortement bénéficiaire à un autre, lourdement subventionné. Il en va de même avec cette efficacité énergétique, les normes nouvelles renchérissant significativement un coût de la construction victime de la hausse des matériaux, et rendant donc plus coûteux un logement qui trouvera de moins en moins d'acheteurs. Quant à l'énergie, on sait ce que les filières vertes doivent à des subventions massives qui seront d'autant plus difficiles à camoufler dans un coin de la facture EDF, sous l'appellation fallacieuse de service public d'électricité, que ce poste augmentera à mesure de l'accroissement des investissements qui, désormais réalisés en mer, prennent l'apparence d'une fuite en avant.

Le scénario analysé ici présente donc un petit écart par rapport au programme des Verts, puisque le nucléaire n'y est pas mentionné, et comprend un grand et paradoxal oublié, le CO2. Une analyse récente du CEPOS, think tank danois composé d'incorrigibles libéraux, dévoilait la face cachée du pays le plus éolisé d'Europe. D'après les données d'Eurostat, un français a généré en 2009 8 tonnes de gaz à effet de serre, un danois 11 tonnes ; bouleverser l'équilibre actuel de la production d'électricité se paiera donc d'une double hausse, des tarifs, et des émissions de CO2. Le scénario des 684 000 emplois consiste donc à détruire des postes doublement rémunérateurs, en tant que tels et par les recettes fiscales qu'ils génèrent, dans l'automobile et les énergies fossiles, pour créer des emplois subventionnés dans le BTP et les transports en commun, avec comme seule justification de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'un des pays les moins émetteurs dans la zone développée la moins émettrice : on ne s'étonnera donc pas s'il s'écrase en prenant contact avec le mur de la dette, et le pavé tranchant de la réalité.