La radicale cure d'écologie que s'imposent depuis quelques années les politiques ne va pas sans effets secondaires nocifs, puisqu'il est à craindre que certains n'aient perdu dans l'affaire le sens du métier qu'ils exercent. Naguère, les coups tordus se méditaient soigneusement, dans l'ombre, et se dévoilaient discrètement, au dernier moment, prenant l'adversaire de court. Mais rien de semblable avec Nathalie Kosciusko-Morizet. Sa volonté sans faille d'éradiquer le MON810 de Monsanto, ce maïs transgénique tenace comme du chiendent mais dont la culture est autorisée en Europe, ne s'embarrasse pas de subtilités tactiques. Or, malheureusement pour elle, son atout maître, la carte de l'interdiction, a déjà été jouée, en perdue, puisqu'aussi bien le Conseil d'État que la Cour de justice de l'Union européenne, jugeant les argument du ministère peu convaincants, ont annulé sa décision. Dès lors, il devenait de nouveau possible, pour les audacieux qui s'y risqueraient, de semer la graine en question. Aussi a-t-il fallu, pour les combattre, monter une machination diabolique : en retardant jusqu'à la toute dernière extrémité, à savoir le début des semailles du printemps, l'interdiction du maïs maudit, on gagnait une campagne, puisqu'on empêchait ainsi, au moins pour cette année, Bruxelles de réagir à temps. Malheureusement, pour que ce plan secret fonctionne, il était indispensable de l'exposer au grand jour. Ainsi, dûment mis en garde, les agriculteurs éviteraient le poison du géant américain pour se fournir en bonne semence coopérative et brevetée chez Maïsadour, en attendant l'interdiction, qui, comme l'annonçaient mardi dernier Les Échos, ne saurait tarder.
Quelques jours plus tard, en effet, le moratoire était prononcé, fournissant au passage l'occasion d'un amusant exemple pratique de travail journalistique, avec la comparaison entre la dépêche de l'AFP et sa version publiée dans le Monde, puisque le quotidien du soir reprend mot pour mot dans son édition en ligne le contenu diffusé par l'agence de presse, contenu auquel il ajoute deux courts paragraphes, pour préciser que, après l'action des faucheurs de maïs, Monsanto avait de toute façon décidé de ne pas commercialiser en France la semence de la discorde, avant de conclure que le "géant américain" traînait derrière lui un lourd passé de "scandales sanitaires". Justifié pour la forme par de nouveaux doutes scientifiques dont il importe peu qu'ils ne concernent pas la variété en question, ce moratoire apporte une preuve superflue de plus, celle de la déliquescence totale de l'art politique en cette fin de mandat, puisqu'on ne cherche même plus à trouver une astuce, si pauvre soit-elle, pour camoufler une décision illégale et que, bien au contraire, on choisit de la proclamer à la face du monde, et accessoirement dans celle de la Cour de justice de l'Union qui, certainement, saura s'en souvenir.

Ainsi donc ce maïs perfide qui existe depuis bientôt vingt ans et dont on attend, avec espoir et patience, depuis lors, qu'il veuille bien faire la preuve de sa nocivité, se trouve de nouveau interdit d'emploi en attendant, bien sûr, que Bruxelles, une fois encore, ne rapporte la décision. Ce qui, comme toujours, pose une série de questions intéressantes, la première étant de savoir que faire lorsque, loin de défendre le droit, l'État à la fois absout les délinquants qui viennent jusque dans vos champs étêter les épis qui leur déplaisent, et contredit une décision de la plus haute instance judiciaire européenne, rendant tout recours inutile, anéantissant par ces deux actions conjointes la force même du droit.
Tout va dépendre du degré de liberté dont on dispose. Ainsi Vilmorin, l'ami des jardiniers, quatrième semencier mondial, qui avait déjà délocalisé en Israël sa recherche dans les tomates transgéniques, fatigué de dépendre de Monsanto, inquiet d'un avenir qu'il ne souhaite pas affronter seul, s'associe avec l'allemand KWS pour développer des semences de maïs OGM, qu'il prendra soin de ne pas diffuser en France : dans une stratégie caractéristique de fuite, le semencier va donc développer en commun avec un autre acteur minoritaire du secteur ces plants transgéniques qu'il vendra à qui en voudra, se tenant prêt à les proposer, le cas échéant, même aux agriculteurs français, lesquels, à l'inverse, attachés à leur capital terrien, ne peuvent que subir et protester. Ce qui a une autre conséquence, d'ordre économique.
Acteurs du même secteur, Vilmorin et ses clients relèvent pourtant de deux logiques parfaitement disjointes. Filiale du groupe coopératif Limagrain, Vilmorin s'est développé de la façon la plus capitaliste qui soit, en rachetant dans le monde entier des semenciers aussi bien que des spécialistes du génie génétique. De la sorte, il réalise aujourd'hui près de la moitié de son chiffre d'affaires hors d'Europe. Comme tant d'autres, sa volonté de préserver son avenir l'a poussé à aller chercher ailleurs ce que son marché domestique ne pouvait lui offrir, gagnant du coup son indépendance à la fois à l'égard du marché en question, et d'un État naguère puissant, mais qui ne possède aujourd'hui plus guère de capacités de nuire aux grandes entreprises, en dehors des vitupérations et des vaines menaces. Les agriculteurs locaux, à l'inverse, portent un double fardeau, et ne possèdent qu'un seul moyen de fuir, en changeant de métier. Aussi les deux autres options synthétisées par Albert Hirschman leur sont-elles ouvertes. La contrainte, en bannissant le maïs américain de l'offre de leur fournisseurs, s'imposera de toute façon à eux, privant la loyauté de toute valeur puisqu'elle sera subie. Mais la prise de parole, dans un univers pour l'heure monopolisé par le clan d'en face, pourrait, progressivement, à mesure que les avantages compétitifs qui font le succès mondial des semences transgéniques en général et du MON810 en particulier, dégraderont leur compétitivité, gagner en importance, et aller un peu plus loin que l'édition de T-shirts.