Une des vertus du monde réel est que le pire n'y est jamais sûr et que, parfois, la raison l'emporte, quand bien même il lui faudrait pour cela employer des chemins bien tortueux. Le 22 mars, feu le Conseil général des ponts et chaussées a mis en ligne un de ces rapports qui justifient son existence, et qui, répondant à une commande gouvernementale, évalue les possibilités de redonner un peu de vigueur et de travail au corps des Mines grâce aux ressources nationales d'hydrocarbures de roche-mère, terme aussi diplomatique que techniquement exact pour désigner ce que le militantisme écologiste a popularisé sous le nom de gaz de schistes. Il ne s'agit pas en effet seulement de gaz, mais aussi d'huiles, et qui se trouvent dans des couches géologiques bien plus variées que les seuls schistes. Ce rapport intervient à l'intérieur de l'amusant contexte règlementaire produit par la loi du 13 juillet 2011, laquelle interdit l'exploitation et même l'exploration d'hydrocarbures lorsque celles-ci utilisent la technique dite de fracturation hydraulique et révoque les permis déjà accordés, tout en commandant des missions d'information annuelles, ici confiées aux Conseils des mines et des ponts, chargées d'évaluer l'intérêt potentiel de ces ressources : il s'agit, en somme, de faire des recherches portant sur l'exploitation d'hydrocarbures, tout en s'interdisant formellement d'en tirer un quelconque profit.
Ce qui, bien sûr, ne trompe personne, et surtout pas les ingénieurs des mines qui, tout en s'en défendant, construisent une stratégie pleine de pragmatisme laquelle, tenant aussi compte de paramètres sociaux, se déploie en plusieurs étapes et sur deux espaces distincts. Sur le territoire national, deux zones se prêtent à ces recherches : le bassin parisien, plutôt pourvu en huiles, abondamment foré et déjà exploité, et le sud du Massif Central, à la géologie plus complexe et mal connue, où l'on pense surtout trouver du gaz dans une zone riche en parcs naturels et qui comprend aussi, avec Millau, le point focal de la gauloiserie belliqueuse. La procédure envisagée, lente, consensuelle, soumise à l'aval du parlement et des collectivités locales concernées montre que les ingénieurs des mines ont retenu leurs leçons de sociologie de l'action collective, sans pour autant masquer un objectif, et une certitude, puisque ces ressources finiront bien par être exploitées, ici, comme ailleurs.

Car, pour rendre acceptable cet objet interdit, pour reconquérir un terrain entièrement abandonné aux opposants, on compte sur un certain nombre de leviers, en premier lieu sur les exemples étrangers, européens d'abord, polonais avant tout. La Pologne subit en effet une double contrainte, celle d'une production d'électricité alimentée par le charbon national, celle aussi d'une dépendance totale au bon vouloir de Gazprom. Autant dire que la mise en service de Nord Stream, ce gazoduc sous-marin conçu exclusivement pour le confort allemand, et qui contourne soigneusement et la Pologne et les états baltes, transformant la dépendance en asservissement, constitue à la fois un puissant levier pour le développement accéléré des ressources locales qu'on présente, malgré quelques déconvenues, comme les plus importantes d'Europe, et un gage d'assentiment populaire. Mais d'autres pays risquent de montrer la voie, en particulier la Grande-Bretagne qui doit faire face à la baisse de ses ressources en mer du Nord. Mais naturellement l'exemple majeur, comme souvent, vient des États-Unis.
Le rapport des grand corps techniques s'étant longuement sur la question, montrant si besoin est à quel point l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels bouleverse l'économie du pays bien au-delà de son seul approvisionnement énergétique. Un article récent des Echos permet de mesure l'impact réel de la fracturation hydraulique : le gaz, cette ressource que l'on ne peut exporter sur de grandes distances qu'en procédant à une coûteuse liquéfaction, connaît de fortes variations de prix selon les aires géographiques. Et désormais, grâce aux hydrocarbures de roche-mère, le coût du gaz est trois fois moins élevé aux États-Unis qu'en Europe.

Voilà pourquoi ce même ministre qui vient, sans vergogne et sans montrer le moindre respect des décisions de justice européennes, tout juste d'éradiquer les dernières pousses de maïs génétiquement modifié, autorisera, au grand dépit des opposants, l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels. C'est que les plantes au génome trafiqué permettent de mobiliser un riche imaginaire de craintes sans pour autant présenter d'avantages compréhensibles au commun des mortels. Le gaz, cette vieille connaissance, cet énergie propre, ne souffre pas des mêmes handicaps, et les inévitables nuisances de son exploitation resteront purement locales, tandis que les avantages, eux, seront répartis sur tout le territoire, et s'exprimeront de la manière la plus lisible, en euros, sur une facture. Le même numéro des Echos rappelait ce que coûte à la collectivité sa dépendance aux importations d'hydrocarbures : on ne peut douter qu'il suffira d'une stratégie astucieuse, telle que la préparent les corps techniques, et de quelques années pour que les forages dans la roche-mère produisent autre chose que de la connaissance. Dr Goulu l'avait écrit voilà déjà quelque temps : inévitablement, on brûlera tout.