Gérard Depardieu aurait sans doute préféré rester un exilé fiscal discret. Mais un tel objectif, sans doute accessible pour l'un des nombreux rejetons des diverses familles de la grande distribution roubaisienne, reste hors de portée pour ceux dont les trognes sont connues dans les plus humbles villages d'Europe : dès le 9 novembre une information, révélée par Le Soir et reprise en brève dans Les Échos sous l'accroche exil fiscal ou investissement, dévoilait son achat d'un bien immobilier dans la déjà célèbre commune de Néchin. Il fallut ensuite quelque temps pour que la mécanique s'ébranle, et pour que le sympathique et volumineux gaulois, sous le poids de l'opprobre publique, endosse le bien trop étroit costume de l'Avare. Évidemment, les coutures ont tout de suite craqué, et l'acteur a réagi aux critiques gouvernementales par une tribune qui a suscité bien des commentaires, dont certains méritent qu'on s'y arrête.
Ainsi, la comparaison entre le texte original, fort court, et le résumé qu'en fait le quotidien du soir de référence se révèle très instructif, certains passages, sans doute déconseillés aux âmes sensibles, ayant été omis, celui où l'acteur met en cause la façon dont la justice a traité son fils Guillaume, celui aussi où, buveur, motocycliste, et doté d'une corpulence bien éloignée du standard IMC, il se présente sans le moindre remords comme un fort mauvais citoyen. Ces coupes, il est vrai, concernent des points qui donnent à cet exil des raisons autres que purement fiscales. Intéressante aussi, la réaction du journaliste de France 2, pour lequel une imposition représentant 85 % du revenu est techniquement possible mais implique, selon les experts, d'être un bien mauvais gestionnaire, qui n'a pas utilisé toutes les possibilités offertes par les niches fiscales : on lui reproche ici, en somme, de préférer l'évasion corporelle à sa cousine fiscale, bien plus discrète. Mais naturellement, les principaux arguments viendront des élus de la majorité, Claude Bartolone, Aurélie Filipetti, ; et il sera intéressant de creuser un peu, et d'essayer de démêler qui doit quoi à qui.

Gérard Depardieu a donc passé à Châteauroux une enfance de voyou, quittant l'école à treize ans, et entrant dans la catégorie de ces mineurs dont on dirait aujourd'hui qu'ils sont défavorablement connus des services de police. Venu à Paris suivre des cours de théâtre, il attirera vite l'attention et trouvera ses premiers rôles avec Peter Handke ou Marguerite Duras, tout en entamant une carrière cinématographique durant laquelle, à côté des François Truffaut et André Téchiné, et parfois accompagné par son compère Patrick Dewaere, il deviendra l'interprète favori des grands cinéastes de l'anti-France, Bertrand Blier, Marco Ferreri et, plus encore, Maurice Pialat. Sa carrière comme sa notoriété doivent sans doute beaucoup à son entourage très proche, familial et professionnel, et à ses qualités propres ; mais on aurait du mal à y déceler un rôle autre que négatif des pouvoirs publics. En d'autre termes, elle s'oppose trait pour trait, malgré des origines sociales similaires, à celle d'une Aurélie Filipetti, normalienne, agrégée de lettres, et dont le principal mérite se limite à avoir réussi un concours, ce qui, sans doute, explique sa virulence. Son argumentaire, d'une stupidité sans nom, reprend les formules fatiguées du chauvinisme le plus primaire, et montre à quel point le syndrome mécanique de la patrie en danger frappe indistinctement tous les élus, sans souci d'époque ou de tendance politique. Dans ce gouvernement qui, des lettres à la philosophie, de l'allemand à l'histoire, de l'anglais à l'économie, rassemble, en dehors des sciences, tout ce qu'il faut pour faire la classe et se montre encore plus monotone que le cabinet d'avocats de Nicolas Sarkozy, la réussite sociale et financière du cancre doit être difficile à accepter, et le culot incroyable, le camouflet sans précédent qui nait du fait de ne pas se contenter d'être un exilé fiscal honteux totalement insupportable.

La ministre de la culture semble, dans le domaine du cinéma, essentiellement occupée à défendre les privilèges d'un secteur d'activité qui, de la taxe spéciale additionnelle aux SOFICA, des obligations de production aux quotas de diffusion, du statut spécial de Canal + à la taxe sur la copie privée, fait preuve, en dépit d'une furieuse concurrence, d'une créativité inégalée en matière de production de rentes. Elle oublie opportunément, comme d'habitude, que, niches fiscales exceptées, ces financements sont à la charge du consommateur, et pas du contribuable. Elle oublie, plus largement, à quel point un Gérard Depardieu s'est construit contre ce cinéma-là, avec ses absurdes prétentions à produire des œuvres, son acharnement à refermer à double tour la porte ouverte par la nouvelle vague et ses successeurs. Bien sûr, aujourd'hui, sa carrière a rejoint le courant dominant, sans pour autant délaisser totalement les pirates, comme le montre sa prestation impressionnante dans le récent Mammuth. Il en reste, pourtant, des moments ineffaçables, qui ont culminé lorsque Maurice Pialat, cet autre ingrat, a reçu la Palme d'or à Cannes pour le miraculeux Sous le soleil de Satan, contre les huées des petits maîtres et des bien pensants. D'une certaine façon, et bien qu'il ne vise pas les mêmes personnes et ne prenne pas appui sur les mêmes raisons, le bras d'honneur de Gérard Depardieu trouve sa place pas très loin du poing brandi par Maurice Pialat ; dans l'affaire, le mauvais rôle, à l'évidence, n'est pas pour lui.