Une proposition de loi du groupe écologiste à l'Assemblée Nationale est un peu comme une rose fleurissant dans une terre empoisonnée aux métaux lourds, une chose aussi rare que précieuse, qu'il faudrait cultiver avec soin, et étudier avec prévenance et attention. Hélas, le pouvoir socialiste ignore ce genre de délicatesse, puisqu'il vient de l'enfouir dans les catacombes de l'Assemblée, en la renvoyant en commission. Comme l'explique Samuel, ce renvoi contraint les écologistes à passer leur tour, et à attendre l'année prochaine une nouvelle occasion de tenter leur chance. Autant juridique que technologique, cette proposition maintenant éteinte se fixait une bien lourde tâche, que la physique du monde tel que nous le connaissons rend simplement impossible, limiter les expositions des individus aux ondes électromagnétiques. Proteos a rappelé à quel point les Verts poursuivaient ainsi une de leurs chimères préférées tout en laissant de côté, comme toujours, le seul risque potentiel de ces émissions, qui tient au fait d'avoir en permanence un bidule hautes fréquences posé contre l'oreille. Pourtant, ces deux contributions n'épuisent pas le sujet, et négligent en particulier ce qui va intéresser le politiste.

On peut en effet poser le postulat selon lequel les écologistes ont pris au sérieux cette rare occasion à eux offerte de donner une consistance légale aux sujets qui les préoccupent. Le choix de la thématique, l'organisation de leur argumentaire, le contenu du projet avec ses articles successifs donneront alors autant d'indications pertinentes sur la manière dont ils comptent gouverner. Et de ce côté là, au moins, on n'est pas déçu. L'exposé des motifs s'ouvre ainsi par une manœuvre classique, qui universalise le singulier en faisant des quelques opposants au WiFi et aux antennes de téléphonie mobile les porte-parole des angoisses de la majorité des citoyens, majorité, comme de coutume, silencieuse. Cette ordinaire rhétorique politique doit pourtant s'affranchir d'un obstacle inédit : même si la rapporteuse prend bien soin de ne citer aucune source de radiations électromagnétiques qui ne soit artificielle, elle ne peut éluder le fait que ce bain d'ondes qui nous emprisonne existait bien longtemps avant l'apparition de l'humanité. Il lui faut donc trouver un moyen d'isoler le naturel, réputé inoffensif, du technologique, dangereux par définition : ce sera le rôle d'un terme bizarre dont la signification reste obscure, "ondes électromagnétiques pulsées". À ce sujet, une petite recherche lancée avec cette chaîne de caractères grâce à l'habituel géant du web se révèlera vite rassurante, puisqu'elle montre à la fois tous les bienfaits à tirer de la chose, et tous les moyens de s'en protéger.
L'analyse du projet lui-même délivre ensuite son lot d'informations. Il commence par réclamer la conduite d'une étude d'impact avant la mise en service d'une nouvelle technologie sans fil, étude qui devra être conduite par des experts indépendants. On attendra un éventuel décret pour savoir ce qu'il faut entendre précisément par technologie nouvelle, pour s'intéresser à la définition donnée ici de l'indépendance : ces experts devront démontrer qu'ils n'entretiennent aucune espèce de lien avec l'industrie incriminée, et cela sur une période de dix ans. Bien évidemment, les militants des CRIIREM et autre PRIARTéM, n'étant suspects d'aucun lien de cet ordre, seront automatiquement considérés comme étant des experts neutres, compétents et objectifs. À l'inverse, on remarquera que nombre d'amendements au projet de loi ont été déposés par deux figures bien connues du lobby des ondes, Lionel Tardy, propriétaire d'une PME informatique, Laure de La Raudière, normalienne, ingénieur des télécommunications, au lourd passé de directeur départemental chez France Telecom. Pour le bien des citoyens et de la démocratie, il conviendrait donc de les priver de leur temps de parole.
On découvre, un peu plus loin, une obligation d'apposer sur les emballages des bidules WiFi une mise en garde contre leur dangerosité : on attend avec impatience que cette avancée trop timide soit complétée de photos détaillant les horribles tumeurs que cause l'abus d'ondes. À partir d'ici, on se prend à douter du sérieux de la proposition. Et le doute devient certitude lorsqu'entre en scène le POT, plan d'occupation des toits. On en veut à la ministre de l'économie numérique, responsable de ce renvoi en commission qui interrompt brutalement la carrière du projet, puisqu'elle nous prive ainsi d'une inépuisable réserve de jeux de mots : hélas Fleur, c'est une évidence, n'aime pas les POTs. Une fois de plus, on peut donc vérifier la véritable fonction, au sens sociologique du terme, des Verts, fonction qui consiste à alimenter l'observateur sarcastique en intenses moments de rigolade.

Mais la brève carrière de ce projet de loi ne l'empêche pas d'être riche d'enseignements. Il montre d'abord l'envergure de l'invraisemblable fatras pré-logique qui pollue toujours la pensée des Verts. Il rappelle ensuite de quelle manière ceux-ci comptent imposer leur vues malgré leur minuscule poids électoral, et dans quel but. L'article 474 vaut ainsi comme un plan de bataille qui, en multipliant les obligations, les consultations, les recours possibles, vise à entraver efficacement la progression de l'adversaire. Plus largement, la proposition montre comment les Verts utilisent la construction juridique de la réalité physique : la loi permet en effet de faire l'économie de cette ennuyeuse contrainte que pose la réalité objectivable, laquelle implique qu'un fait n'existe que s'il est observable et quantifiable, et qu'il le soit de manière cohérente et reproductible. Promulguez une loi qui vise à vous protéger de quelque chose, l'électrosensibilité ou le sabbat des sorcières, et vous pourrez donner un nom et un visage à votre mal, vous pourrez désigner des coupables et les faire condamner, et faire condamner en particulier ces hérétiques de scientifiques qui persisteront, malgré la loi, à mettre en doute la matérialité de vos troubles.
Pour finir, l'échec de la tentative apporte un enseignement politique précieux puisqu'il permet de mesurer avec précision la longueur de la laisse avec laquelle les socialistes tentent de contenir leurs imprévisibles alliés, au point qu'on pourrait penser que la thématique de la proposition a été choisie par certains pour avoir valeur de test. Et incontestablement, cette laisse apparaît d'autant plus courte que les socialistes n'ont pas hésité à la rajuster brusquement, et sans ménagement. Cette première escarmouche fixe donc le cadre à l'intérieur duquel les Verts devront désormais évoluer, et sans doute ne se contenteront-ils pas tous de son étroitesse : dès lors, à terme, il ne serait pas invraisemblable de voir naître une scission entre fondamentalistes, et opportunistes.