On imagine mal, ou trop bien peut-être, le quotidien, entre grotesques pattes d'eph et immondes vestes afghanes, de la jeunesse disciplinée dans une ville ennuyeuse du milieu des années 1970. Sortir se limitait à assister à un concert à la MJC Magnan, une des pitoyables enclaves de cette culture baba qui fleurissait alors. On y voyait défiler des imitations d'Ange, le groupe français de l'heure, copie des groupes progressistes britanniques, tous mauvais comme des cochons, ennuyeux comme la pluie et sérieux comme des instituteurs de la IIIème République avec, comme le dit si bien Éric Tandy, leur musique de paysans.

Tous ceux qui ont compris ce qui se passait lorsque les Pistols ont débarqué se souviennent de cet instant de libération, de ce moment où, clairement, violemment, avec une totale évidence, la vérité a éclaté. Europunk, à la Cité de la Musique, raconte tout ça, avec le parti pris parfaitement défendable de se limiter à l'Europe, puisqu'il recrée ainsi les conditions d'alors, et échappe à une illusion chronologique qui insisterait sur l'influence d'un mouvement américain bien moins cohérent, et connu des années plus tard.
L'exposition s'articule le long d'une chronologie très détaillée, où l'on apprend, par exemple, que le Stephan Eicher d'avant Grauzone a enregistré ses premiers morceaux sur le matériel abandonné par un groupe punk après une descente de police dans la salle où il travaillait comme serveur. Avec la chronologie, l'exposition fournit l'occasion de voir des séquences vidéo telles la fameuse apparition des Olivensteins sur FR3 Normandie qui, délicate attention, sont présentées sur des moniteurs à tube cathodique, parfois, d'époque. Et son autre parti pris consiste à montrer à quel point, tellement mieux que de la musique, le punk, c'est de l'art. Les principaux contributeurs à cette esthétique, Malcolm McLaren, Vivienne Westwood et Jamie Reid ou bien les membres de Bazooka ont chacun droit à leur enclave. Et l'exposition prend fin quand arrive le temps de grandir, et de passer aux choses plus sombres.

À voir ces affiches, ces fanzines, ces tracts, ou les pages de Libération occupées par Bazooka, l'impression qui domine est celle d'un total dénuement. L'indépendance, l’agressivité, la provocation trouvent ici une logique contrepartie. Puisqu'on ne saurait être à la fois dehors et dedans, il faut se débrouiller seul, s'autofinancer, et survivre dans un réseau largement souterrain avec une esthétique qui, à l'époque du disco décadent et du reggae triomphant, n'attire pas des foules dont on n'a, au demeurant, que faire. Rébellion juvénile, explosion qui tirait sa vitalité de son urgence et de son évidence, le punk ne pouvait durer longtemps, et ceux qui, peu nombreux, firent ensuite carrière bâtirent celle-ci sur les cendres de leurs premiers groupes, presque tous disparus après deux ou trois albums. Clore aussi rapidement l'histoire, n'en laisser que des souvenirs de jeunesse et des témoignages d'un instant, au fond, ça n'est pas plus mal.
Malheureusement, même un dimanche matin à 10 heures, il y a un monde fou. Et on remarque une nette tendance à venir en famille, montrer aux enfants déjà grands à quoi maman s'occupait quand elle avait leur âge, ce qui n'est pas forcément une bonne idée puisque, visiblement, le blondinet s'emmerde. Reste un dernier point : 9 euros l'entrée, j'en connais qui trouveront ça cher et pas du tout punk ; ils n'auront pas vraiment tort. Il fallait bien que la culture légitime se venge, quelque part.