Si le récent épisode de pollution aux particules fines qui a touché certaines des grandes agglomérations du pays, et la capitale en particulier, a quelque chose d'exceptionnel, c'est la date à laquelle il s'est produit. D’habitude, en effet, ce genre de désagrément survient plutôt à la fin de l'hiver, en février-mars. Tel était le cas en 2015, année qui, comme le montrent les implacables statistiques d'Airparif, a connu entre le premier janvier et le 9 avril quatre dépassements du seuil d'alerte aux particules PM10, et huit du seuil d'information. Jusqu'à ce décembre tragique, le bilan 2016 était bien meilleur ; depuis, à un seuil d'information près, il est identique. Les faits en eux-mêmes n'ont donc rien d'exceptionnel. La concentration en particules l'a été un peu plus, puisqu'elle a atteint le 1er décembre un pic à 144 µg/m³, alors que, l'année précédente, on s'était contenté de 101. Par la suite, cette valeur a régulièrement décru, jusqu'à revenir, le jeudi 8 décembre, dernier jour de l'épisode, à 64 µg/m³, soit bien en dessous du seuil d'alerte réglementairement fixé à 80 µg/m³.
Les données ne présentent donc guère d'originalité. Les réactions politiques non plus, tant on a pris l'habitude de voir les pouvoirs publics profiter de l'effet d'aubaine que ces épisodes leur procurent pour légitimer, et renforcer, leur lutte contre les envahisseurs motorisés. Quelque chose d'intéressant, pourtant, a vu le jour à cette occasion : les stigmatisés ne sont pas restés inactifs. Et l'intéressant se trouve moins dans la polémique née pour l'occasion, qu'il serait d'ailleurs instructif d'analyser en détail, que dans les réactions de cette foule d'anonymes qui a voté avec son volant.

À Paris et en proche banlieue, la préfecture a donc imposé, sur un total de quatre jours entre le mardi 6 et le vendredi 9, une circulation alternée, laquelle aurait donc dû, arithmétiquement, entraîner une baisse de moitié du trafic. Les effets en seront pourtant fort modestes, en partie parce que, comme le montre Airparif, l'obligation intervient après le moment le plus intense de l'épisode, et en partie parce que le refus de se conformer aux consignes a été massif.
Cette attitude indocile renvoie à un autre refus, celui de coller sur son pare-brise cette vignette qui témoignera des qualités environnementales de son véhicule, laquelle vignette, disponible depuis l'été, sera en principe obligatoire dans exactement un mois. Or, pour l'heure, les observations d'automobiles en stationnement faites lors de promenades parisiennes répétées révèlent surtout les traces de l'internationale des contrôles policiers, qu'il s'agisse des low emission zones allemandes, ou de la taxe autoroutière suisse. On a aussi relevé une quantité surprenante, puisqu'on les rencontre très grossièrement sur un véhicule sur trente, de pastilles vertes, cette forme rudimentaire de marquage datant de l'époque Jospin et qui a pris fin en 2002. Par un amusant détour de l'histoire, ces preuves de vertu stigmatisent aujourd'hui le véhicule hors d'âge. Quant à la vignette nouvelle formule, on n'en a recensé qu'une seule, posée sur un véhicule électrique. Petit joueur. En somme, on assiste à une sorte de boycott informel mais sans doute d'autant plus massif que, tant que la police municipale du stationnement n'est pas encore entrée en service, le risque de sanction reste faible.

Ces comportements rebelles, ces incivilités diraient sûrement certains, signalent une opposition sourde mais devenue bien plus virulente depuis qu'un élément déclencheur a provoqué sa cristallisation. En interdisant la circulation sur les quais bas de la rive droite, Anne Hidalgo n'a pas rendu aux parisiennes et parisiens des emprises qui ne leur ont jamais appartenu, puisqu'elles ont depuis toujours servi à diverses activités commerciales aujourd'hui presque disparues. Mais elle a coupé un axe majeur, qui permettait de circuler de banlieue à banlieue plus directement qu'en faisant un détour par le périphérique. Et elle a ainsi mis en lumière un conflit désormais ouvert sur de multiples fronts et, si l'on en croit des milieux bien informés, qui transcende les appartenances politiques, conflit qui oppose économiquement, géographiquement, socialement, les insiders aux outsiders.

Voilà bien longtemps qu'on observe la manière dont, progressivement, sur le long terme, l'exécutif parisien modèle son interprétation de la ville idéale, cette nouvelle Metropolis où les banlieusards circulent sous terre tandis que l'usage de la surface est réservé à la seule aristocratie indigène, et aux touristes. La configuration administrative particulière de la plus petite des grandes capitales européennes permet la mise en œuvre d'une telle conception. Mais elle se heurte à des réalités contre lesquelles elle ne peut rien, en particulier cette compétition mondiale entre grandes métropoles qui l'oblige à croître, donc à regarder au-delà de son territoire, vers des espaces qu'elle ne peut plus se permettre de mépriser.
Or, ces lieux sont occupés. Ils le sont par ces gens qui dépendent de la ville centrale, et dont la ville centrale dépend, pour y exercer leur métier et lui fournir les services dont elle a besoin. Et, pour des raisons extrêmement variées, une part minoritaire mais significative d'entre eux ne peut accomplir sa fonction sans un véhicule individuel. Bien souvent, par contrainte plus que par civisme, ils ont d'ailleurs opté pour l'un de ces deux-roues motorisés qui, propulsés par un moteur à essence, ne produisent pas de particules tout en étant sanctionnés presque au même titre que les automobiles diesel. Ces espaces sont occupés, aussi, par des élus de l'autre bord politique, sans doute assaillis des réclamations de leur administrés et auxquels, par bêtise, la mairie de Paris offre ainsi une magnifique occasion de se ranger aux côtés du peuple, de la pauvre scooteriste et de l'humble automobiliste. La configuration politique actuelle, avec une région acquise à la droite, celle qui s'annonce si François petrolhead Fillon accède à la présidence, les conséquences locales du changement de pouvoir avec un préfet de police qui, comme en 2012, sera le premier à céder sa place, compléteront l'encerclement de cette nouvelle Bastille, qui deviendra dés lors bien plus difficile a défendre.