Le 23 février dernier Rodrigo Rato, figure du Parti Populaire de Mariano Rajoy, mondialement connu pour avoir présidé le FMI entre 2004 et 2007, était condamné à quatre ans et demi de prison. Il payait ainsi les coupables largesses dont il avait bénéficié lorsqu'il était, de 2010 à 2012, à la tête de Bankia, une entité financière un peu spéciale à laquelle on a déjà eu l'occasion de s'intéresser. En ces temps particulièrement troublés, cette information n'a guère suscité d'intérêt de ce côté des Pyrénées. Elle aurait même pu passer totalement inaperçue si la comparaison obligée avec les ennuis judiciaires qui affectent d'autres personnalités bien connues du même FMI n'avait déclenché une vague de schadenfreude qui a éclaboussé jusqu'à la BBC. Le procès dont il est question, et qui met en cause pas moins de soixante-cinq prévenus, va pourtant bien au delà de l'anecdote croustillante. Hélas, malgré de longues recherches, la pêche aux informations exploitables se révèle bien maigre. On aura rarement autant regretté de ne pas être hispanophone. Mais c'est comme ça.

Au cœur de l'affaire, un système de cartes de paiement clandestines attribuées aux administrateurs de Bankia. Celles-ci leur permettaient, de façon semble-t-il totalement discrétionnaire et, il est à peine nécessaire de le préciser, sans rien déclarer au fisc, de financer sans retenue leurs menus plaisirs. Le Guardian livre ainsi une courte liste et des montants en cause, dont le total atteint la somme respectable de 12 millions d'euros, soit de quoi faire passer n'importe quel parlementaire français pour un tout petit joueur, et des motifs de dépenses, des dîners, du vin, des voyages, tout ce qui permet en somme à des décisionnaires surchargés de s'accorder de bien légitimes moments de détente. Et pourtant, il manque l'essentiel.
Car, loin d'être réservées au seuls cadres du Parti Populaire au pouvoir, ces libéralités profitaient à l'ensemble des administrateurs de la caisse d'épargne. Et ceux-ci représentaient tout le spectre des partis traditionnels, mais également les confédérations syndicales. Là, hélas, les données manquent, mais on peut au moins citer le cas de José Moral Santín, co-fondateur en 1986 d'Izquerdia Unida, parti issu, comme son nom l'indique, d'une scission fondamentaliste du Parti Communiste de Santiago Carillo, président entre 1991 et 1995 de Telemadrid, la chaîne de télévision de la communauté autonome madrilène, puis vice-président de Caja Madrid, la caisse d’épargne qui donnera naissance en 2010 à Bankia et qui aurait déboursé sur le compte de Bankia un total de 365 000 €.

Toujours accessible sur le site des Échos, un article de Jessica Berthereau daté de juin 2012 exposait les spécificités de ces structures, et en particulier leur grande dépendance au personnel politique. Avec l'autonomie régionale consolidée durant les années 1980, un vaste champ d'action s'est ouvert aux élus, leur permettant de contrôler les organismes de crédit, mais aussi ces chaînes de télévision dont certaines ressemblent plus à un groupe audiovisuel qu'à la station régionale de France 3, et d'en tirer tous les avantages matériels et symboliques que l'on peut imaginer.
Il reste un dernier chapitre à écrire, celui de l'euphorie immobilière des années 2000, cette époque prodigieuse où l'Espagne coulait plus de béton qu'aucun autre pays européen, et dont rend compte un article de Julie Pollard publié fin 2007, soit juste avant le grand saut. C'est que, comme on le sait, les histoires d'argent facile finissent toujours mal.

Mais on connaît la suite : les procès, les commissions d'enquête, et la disqualification de structures politiques qui affrontent aujourd'hui de nouveaux concurrents, les gauchistes de Podemos, le centristes de Ciudadanos. La révolte populaire, le discrédit qui frappe la classe politique traditionnelle et l'apparition chaotique d'une offre nouvelle rappellent nécessairement un précédent, lorsque, voilà déjà un quart de siècle, des citoyens italiens en colère accueillaient aux cris de ladri ! les caciques des partis d'alors, Démocratie chrétienne ou Parti socialiste, leur jetant de la menue monnaie à la figure. Vingt cinq-ans et un Silvio Berlusconi plus tard, on peut raisonnablement douter que l'Italie s'en porte beaucoup mieux. L'Espagne, elle, parvenue à la fin de son aggiornamento économique sans qu'il ait été nécessaire de bouleverser ses institutions, pourra sans doute plus facilement oublier ce moment d'égarement, ce mirage de la richesse infinie qui aveugle les pays qui, comme elle, l'entrevoient pour la première fois.