niveau 4
Il n'était sans doute guère utile de prêter attention à la déclaration ambiguë et intempestive du ministre de l'Environnement, ce clown sinistre et nuisible, chiffrant à dix-sept le nombre de réacteurs nucléaires à fermer dans un délai de huit ans. On s’inquiétera plus de la réaction du pompier en service à toute heure et sur tous les fronts, le Premier ministre. Car, globalement, il confirmé les dires de son ministre, sur l'objectif, sinon sur le calendrier. Plus encore, il a justifié ce programme qui s'annonce, pour le moins, extrêmement risqué, infernalement complexe et diablement inconséquent de la façon la plus pauvre, par un pur argument d'autorité. Un observateur caustique s'amuserait sans doute de la légèreté avec laquelle sont prises des décisions aux conséquences redoutables, de la foi inquiétante en l'efficacité d'une parole supposée commander et à la nature, et à l’infinie complexité technologique d’une société moderne. Mais un esprit plus terre-à-terre partirait plutôt à la recherche de faits, se demandant ce que la manière nationale de produire de l’électricité peut bien avoir de si répréhensible, pour que les autorités qui en ont la charge lui en veuillent à ce point. Et rien de tel pour entamer cette analyse que de s'intéresser à un critère aujourd'hui déterminant, le bilan carbone.
On dispose pour cela, depuis peu, d'un outil précieux. Née d'une initiative franco-danoise, une carte
permet de comparer les systèmes de production d'électricité d'une quantité croissante de pays selon leurs émissions de dioxyde de carbone, et en fonction des choix énergétiques faits par chacun d'entre eux, choix qui dépendent, à leur tour, de facteurs variés. Ainsi la nature a-t-elle généreusement doté la Norvège, et, à des degrés un peu moindres, la Suède, l'Autriche ou la Suisse, d'eau et de montagnes, conditions idéales au développement de l'hydroélectricité. Choisir cette technologie génère à son tour deux avantages décisifs, puisqu'on dispose alors d'une électricité peu chère et décarbonée, et que celle-ci vous place en position idéale pour jouer les donneurs de leçons auprès de voisins moins
favorisés ceux, en particulier, qui obtiennent des résultats similaires grâce à une méthode différente, l'électronucléaire.
Tel est, bien sûr, le cas de la France. Et la même carte permet une comparaison fructueuse entre deux pays qui partagent un fardeau commun, l'insuffisance de leurs ressources hydroélectriques. Bien avant que l'on ne s'inquiète du réchauffement climatique, la France avait donc massivement choisi ce nucléaire que, voici peu, l'Allemagne a décidé d'abandonner, consacrant à la place des sommes considérables au développement de capacités éoliennes et photovoltaïques dont le cumul dépasse aujourd'hui très largement
le nucléaire national. Pourtant, dépendant en fait du charbon, le kW/h germanique émet couramment six à dix fois plus de carbone que le français. En somme, par le plus grand des hasards, cette fameuse transition énergétique vers une électricité décarbonée s'est déroulée en France dans les années 1980, et la mutation que prévoit le gouvernement ne peut que dégrader la fiabilité, le coût et le bilan carbone du système. Cherchant une justification à ce paradoxe, on n'en trouvera qu'une : la peur.
Celle-ci, on a déjà eu l'occasion d'en parler, reste irrépressible. Malgré tout, et même si un tel exercice est aussi utile que de boucher le trou de la digue avec son doigt pour éviter que la pression de l'eau n'entraîne son effondrement, on va considérer l'électronucléaire comme une activité banale et regarder comment, en opération, elle se comporte du point de vue de la sûreté. Une telle approche implique de laisser de côté l'accident de Tchernobyl, conséquence d'une expérience menée de façon criminelle par des opérateurs qui, pour respecter leur programme, ont désactivé toutes les sécurités possibles, mais aussi celui de Fukushima-Daiichi, où des réacteurs vieux de quarante ans se sont automatiquement arrêtés après un tremblement de terre d'une intensité bien supérieure à celle qui fut prise en compte lors de leur conception. On dispose pour cela d'un outil qui permet d'étalonner, de l'incident banal de niveau 1 comme on en recense chaque année une centaine en France, à l'accident majeur de niveau 7, tout ce qui se passe mal dans la manipulation de la radioactivité, l'échelle INES.
En première hypothèse les accidents, qui commencent avec le niveau 4, devraient, au fil du temps et des soixante ans d'exploitation des assemblages nucléaires, et en dépit de leur rareté, se montrer suffisamment nombreux pour permettre de constituer une base de données apportant des enseignements généralisables. Mais ce n'est pas si simple, notamment à cause du caractère fourre-tout de l'échelle INES. Il faudra piocher ici et là, sur le site de l'association
des exploitants de réacteurs, ou dans cette page du Guardian,
ou encore chez Wikipedia.
Même ainsi, la pêche est maigre. En fait d’accidents de niveau 5 sur un réacteur d'une centrale nucléaire en cours d'exploitation, on ne trouvera guère que la fusion partielle
d'un cœur à Three Mile Island, en Pennsylvanie, le 28 mars 1979. Descendant d'un cran, on arrive au niveau 4 : Saint-Laurent des Eaux le 13 mars 1980 avec, là aussi, fusion partielle du cœur, Bohunice en Tchécoslovaquie le 22 février 1977, Lucens en Suisse le 21 janvier 1969.
L'expérience se révèle donc peu concluante. Tout au plus permet-elle de conclure combien de tels événements sont rares, anciens, et impossibles à rapporter au fonctionnement actuel du système. Car il faudrait supposer pour cela qu'aucun progrès n'ait eu lieu en matière de sûreté depuis quarante ans, alors même que, par exemple, l'utilisation du graphite comme modérateur, caractéristique des réacteurs français de première génération comme à Saint-Laurent des Eaux, mais aussi du RBMK de Tchernobyl, a été abandonnée.
Voilà quarante ans, sur un campus bien connu de l'actuelle ministre des Universités, le visiteur pouvait, à côté d'un manifeste marxiste orthodoxe agrémenté d'une faute de français par ligne, admirer une caricature anti-nucléaire représentant un scientifique en blouse blanche allumant la mèche d'une bombe tout en accompagnant son action d'un commentaire : "ça tiendra". Cette bombe symbolisait une cuve produite par le forgeron nucléaire de l'époque, Creusot-Loire, cuve que, déjà, l'on accusait d'être
fissurée. Quarante après, on est bien obligé de le constater : ça a tenu.
La courte histoire de l'électronucléaire montre, d'une certaine façon, la manière banale dont une technologie radicalement neuve se développe, apprend de ses erreurs et améliore progressivement sa fiabilité. Cette histoire, évidemment, ne dit rien de phénomènes par définition nouveaux, puisque liés au vieillissement des installations. Mais on peut faire aveuglément confiance à l'ASN, qui semble tout faire pour prévenir la construction de nouveaux réacteurs nucléaires sur le
sol national, pour veiller au grain.
Mais ce bilan technique, sanitaire, financier même ne pèse guère face à la force des représentations. L'urgence réelle, celle d'un réchauffement climatique pour l'heure peu sensible dans les pays développés, compte bien moins que la peur, avec la croyance unanime en des solutions de remplacement dont l'exemple allemand montre l'ineptie. Peut-être s'apercevra-t-on un jour que la fine barrière qui séparait le tolérable du meurtrier tenait entièrement dans ce refus irrationnel de la plus efficace des énergies décarbonées,
après l’hydroélectricité. Aux humains qui resteront alors, ce constat apportera, en guise de consolation, une preuve de plus de la toute puissance des constructions sociales. Dommage qu'il se trouve tant de scientifiques pour nier leur existence.
Commentaires
Les émissions de C02/habitant France-Allemagne, 5,05 versus 9,39 tonnes/habitant :
https://www.google.fr/publicdata/ex...
L'Allemagne est par ailleurs un pays plus froid que la France => CO2 du chauffage et plus industriel que la France, donc plus de conso énergétique.
"De plus, sur 2010-2012, l'Allemagne augmente ses exportations d'électricité; donc une partie des émissions faites l'est "pour le compte d'autrui"/ si l'Allemagne n'avait pas exporté davantage, la baisse des rejets aurait été plus forte encore!"
https://blogs.mediapart.fr/jpm2/blo...
La France aussi importe plus d'électricité d'Allemagne qu'elle n'en y exporte.
L'argument "Allemagne augmente ses exportations d'électricité; donc une partie des émissions faites l'est "pour le compte d'autrui"/ si l'Allemagne n'avait pas exporté davantage, la baisse des rejets aurait été plus forte encore!" est tout simplement faux.
Il faut bien comprendre qu'à l'heure actuelle, le réseau Allemand seul n'est pas capable d'absorber la volatilité de ses productions "vertes", par nature très variables et non contrôlables. En conséquence, les pays voisins jouent le rôle de stabilisateurs, absorbant les excédents de production "vertes" de l'Allemagne. En d'autres termes, l'immense majorité des exportations électriques allemandes portent sur de l'énergie décarbonnée : elles n'augmentent donc pas artificiellement les rejets. C'est tout le contraire :
- en période de faible production d'énergie verte, l'Allemagne importe massivement de l'électricité de ses voisins de l'Est, dont les centrales tournent au charbon. Le jeu des importations/exportations a donc plutôt tendance à minimiser les émissions allemandes, et non à les augmenter
- si le réseau Allemand devait encaisser seul ses pics de productions d'énergie verte, il devrait avoir recours à des centrales "thermiques rapides" à la fin de chaque pic. Le rendement de ces centrales étant faible, le bilan carbone serait pire qu'avec le système actuel d'échanges avec les pays voisins.
Bref l'explication "l'Allemagne exporte son énergie = son bilan carbone est surestimé" est une ineptie.
Le combat entre les sciences et les croyances.
Bienvenue dans le XXIème siècle, siècle menacé par l'obscurantisme, le relativisme et, paradoxalement, le sectarisme !!!
PS : excusez ce ton un peu emphatique...
FFB
Vous avez des chiffres concernant la part verte exportée d'Allemagne ? Et aussi concernant l'évolution des dispositifs de gestion des réseaux ENR ?
Par ailleurs, la production ENR allemande présente des différences de temporalités de pics par rapport à ses pays voisins, eh ouais, la météo, vent, soleil, stocks d'eau...n'est pas la même partout au même moment.
Et l'industrie allemande forte consommatrice d'énergie exportant ses produits à l'étranger, c'est aussi une ineptie ?
Ce qui est une ineptie, c'est aussi de prétendre que les accidents nucléaires seraient de plus en plus rares du fait d'une courbe d'apprentissage. Un système complexe comme les chemins de fer, bien plus ancien que le nucléaire, est toujours aussi aléatoire en termes de fiabilité des horaires, cf. le foutoir de la SNCF récurrent.
https://ourworldindata.org/what-is-...
Manifestement, même aux USA, le nucléaire devient non rentable, donc ce n'est pas un problème de superstition :
https://www.sciencesetavenir.fr/nat...
luk,
il n'est pas déterminant d'identifier quelle part d'énergie (la carbonée ou la décarbonnée) est exportée, ce qui importe, ce sont les flux, les quantités produites par chaque moyen et les moyens pour compenser les pics et les creux.
En l'occurence, l'énergie décarbonnée (l'appellation verte étant largement usurpée, du fait du coût environnemental de fabrication des moyens de production, concernant les éoliennes en particulier) est celle dont la production est irrégulière. Il est donc évident que c'est l'irrégularité de cette production qui induit les besoins d'exportation et d'importation.
luk
la pollution, la sécurité et la rentabilité sont des sujets passablement différents. Si l'on intervient dans une comparaison sur les bienfaits sécuritaires (à court et long terme) des différents moyens de production, inclure soudainement une composante de rentabilité ne paraît pas opportun.
De plus, au vu des subventions liées aux énergies décarbonnées, je vous suggère bien respectueusement de l'employer avec prudence :-)
J'ai bien peur de ne pas savoir ce qu'est une "courbe d'apprentissage". Mais, pour plusieurs raisons, la pertinence de la comparaison entre les centrales nucléaires et le réseau ferré m'échappe totalement. D'abord, comme je l'ai dit, les incidents, enregistrés comme tels, dans les réacteurs nucléaires français sont quasi-quotidiens. Mais aucun d'entre eux n'a dégénéré en catastrophe, un fait dont je vois mal comment on pourrait le nier et qui, bien sûr, ne présage pas de l'avenir.
Ensuite, et à un autre niveau, quel rapport entre la plus ou moins grande sécurité intrinsèque d'une technologie et la façon dont elle sera mise en œuvre ? S'il y avait une comparaison à faire, ce serait plutôt, à titre d'exemple, avec une autre technologie révolutionnaire née à peu près en même temps que la fission nucléaire, les moteurs à réaction. Là aussi, les débuts ont été difficiles et, pendant les années 1940-1950-1960 le défrichage de ce champ entièrement neuf a conduit à une énorme mortalité chez les pilotes d'essai. (Ce qui, au passage, fournit l'occasion de rendre l'hommage qui lui est dû à Sam Shepard) Progressivement, la technologie s'est améliorée, au point de devenir extrêmement fiable. Ce qui n'empêche pas les accidents, aujourd'hui souvent conséquence de réactions inappropriées de l'équipage à des événements inattendus. Dans le domaine du nucléaire, ce qui s'en rapproche le plus reste l'accident de Three Mile Island. Le fait qu'il se soit produit voilà quarante ans donne quand même une indication sur la façon dont l'industrie a su apprendre de ses erreurs.
Quant au renoncement éventuel des États-Unis à l'électronucléaire, faut leur en parler plus fort, car ils ne semblent pas vraiment au courant.
La méthode d'évaluation des risques est la même quelque soit la techno, c'est la FMEA.
Il y a une différence entre un crash d'avion et celui d'une centrale nucléaire en termes de conséquences. Maintenant vous pouvez rajouter le risque cyberattaque autrement moins linéaire que celui des résistances de matériau des cuves par exemple, et que l'EPR français a réussi à en foirer complètement une :
https://www.technologyreview.com/s/...
Que la France n'ait pas eu d'accident gravissime, soit, en 1999 sur la Gironde ça a frôlé quand même avec la tempête, et se multipliera avec l'augmentation des canicules, température des fleuves de refroidissement et impact écolos.
Quant à vos start ups US Nuke, ce sont des plans sur la comète pour le moment, comme souvent les start ups dans tous les domaines, et ce que semble déjà être l'EPR d'Areva, nucléaire 2.0, qui est un fiasco économique payé par le contribuable.
Après plus de 50 ans de nucléaire, celui ci représente peu de production énergétique. Les avions à réaction ont mis beaucoup moins de temps pour atteindre une fiabilité relative, n'évitant pas les crashs, et posant beaucoup moins de problèmes de résistance des matériaux, contrairement au nucléaire-fission, et le problème reste le même pour la fusion.
Concernant "l'abandon" du nucléaire aux US, la cause est plutôt à chercher du côté du prix du gaz naturel utilisé pour la génération d'électricité qui se rapproche de son niveau atteint durant les années 90, merci le gaz de schiste : https://www.eia.gov/dnav/ng/hist/n3...
ça tombe bien les centrales fonctionnant au gaz naturel sont le complément idéal des énergies intermittentes comme l'éolien et le solaire. Et les industriels n'hésitent pas à s'attacher les services des "anti-nucléaires primaires" pour éliminer toute concurrence : https://www.forbes.com/sites/jamesc...
Donc si nos chers gouvernants souhaitent fermer des centrales nucléaires pour les remplacer par des éoliennes et autres panneaux solaires, tout à continuant à interdire l'exploration du gaz de schiste en France, il va falloir investir dans les pipelines et les terminaux LNG et ménager les exportateurs de gaz... Poutine appréciera !
"De plus, au vu des subventions liées aux énergies décarbonnées, je vous suggère bien respectueusement de l'employer avec prudence"
Sachant que le nucléaire a bénéficié d'encore plus de subventions en tous genres, ne serait ce qu'en France le budget du CEA, entre autres...
Le déploiement d'une technologie nécessite toujours des subventions étatiques, partout, la DARPA aux USA par exemple.