L'article avec lequel Moto Magazine ouvre sa livraison de rentrée a comme première vertu de rappeler l'existence de ces usagers de la route qui ne comptent pour personne, et surtout pas pour les autorités, les utilisateurs de deux-roues motorisés. Puisque telle est sa fonction, et sa clientèle, on dira qu'il s'agit là d'une manière de programme minimum. Son autre intérêt se trouve dans le résumé qu'il fait d'un document riche et composite, une manière de bilan et de perspectives pour le boulevard périphérique parisien tels qu'ils ressortent d'une mission d'évaluation menée avant l'été au Conseil de Paris. Malheureusement, une troisième vertu fait défaut à l'article en question, celle, au-delà de la défense des invisibles, de critiquer le rapport lui-même, et plus encore ses assertions présentées comme autant d'évidences, et qui convergent vers un unique objectif : comment transformer cette voie que l'on présente comme l’autoroute urbaine la plus fréquentée d'Europe en aire de jeux ?

Pour cela, il faudrait peut-être commencer par faire, plus que de l'histoire et de la géographie, un peu de topographie. Ce boulevard circulaire exclusivement destiné, comme les autoroutes, à accueillir des véhicules motorisés à la seule exclusion des cyclomoteurs, a donc été édifié entre 1956 et 1973, en cette période que l'on nous présente comme celle de la toute puissance automobile, et qu'il convient désormais, selon les préconisations et le vocabulaire de l'heure, de déconstruire. Le chantier a profité d'une propriété spécifiquement parisienne, cette zone à peu près libre de constructions, vestige de la dernière en date des enceintes de fortifications municipales. À de rares exceptions près, le boulevard a alors été bâti au plus près des limites communales, rejetant ainsi l'essentiel de ses nuisances sur les habitants de la banlieue. Mais son profil n'a rien d'uniforme, puisqu'il a fallu franchir fleuve et faisceaux ferroviaires, et s'adapter à des écarts de niveaux significatifs. Ainsi, nous dit le rapport, le boulevard se retrouve au niveau du sol sur seulement 10 % de son linéaire ; pour le reste, il se transforme soit en viaduc, soit, un peu plus fréquemment, en tranchée.
Mais la répartition de ces sections est loin de se faire de manière égalitaire : à l'ouest ou plutôt, pour parler comme certains sociologues, dans les beaux quartiers, entre la porte Dauphine et la porte de Saint-Cloud, le boulevard reste largement souterrain, passant notamment sous le Parc des Princes, tout en profitant du bois de Boulogne pour rester loin des habitations. Plus loin, côté parisien, il longe surtout des installations sportives, des espaces commerciaux tels le parc des expositions, et des cimetières. Pour l'essentiel, ses nuisances se manifesteront dans le quart nord-est de la capitale, chez les pauvres, en somme. Porte des Lilas, seul endroit où les limites de la ville s'étendent largement au-delà de la tranchée occupée par le boulevard, la municipalité vient d'achever un gros chantier de couverture, qui efface totalement la coupure. Mais elle n'envisage pas de réitérer l'opération ailleurs : c'est que, nous apprend le rapport, les mesures de sécurité imposées après l'accident du tunnel du Mont-Blanc rendent un tel projet prohibitif. Enfin, et sauf pour les malheureux habitants de l'est de Clichy-la-Garenne qui voient les 38 tonnes défiler sous leurs fenêtres, le périphérique accueille, et redistribue vers des destinations plus ou moins lointaines, la trafic de sept des huit radiales qui convergent vers Paris. Là se trouve sans doute son crime essentiel.

C'est en tout cas ainsi que l'adjoint chargé des transports à Paris voit les choses, lui qui précise, dans le rapport, que cette infrastructure, entièrement à la charge du contribuable parisien, sert pourtant essentiellement à ses "voisins métropolitains", et vaut comme marque de solidarité à leur égard. De la part d'une municipalité qui vide ses égouts à Clichy, brûle ses ordures à Saint-Ouen, Issy-les-Moulineaux ou Ivry, détruit ses déchets hospitaliers à Créteil et n'hésite pas, si les circonstances l'exigent, à rallumer sa chaudière au charbon de Saint-Ouen pour réchauffer ses habitants, une si bouleversante générosité émouvra les cœurs les plus endurcis.
On a donc décidé d'en finir avec "l'autoroute urbaine la plus proche d'un centre-ville". Pour justifier ce parti-pris un brin radical, pas de meilleur prétexte que la pollution atmosphérique que génère son trafic. Là, face au musée des horreurs médicales, la petite voix d'Airparif dont la responsable des études rappelle que les parisiens subissant un dépassement de la valeur limite en matière de particules fines ne sont plus que 80 000, soit 25 fois moins nombreux qu'en 2007, voilà seulement douze ans, peine à se faire entendre. Il n'empêche : l'urgence l'exige, la décision est prise. Mais alors, que mettre à la place ?

Un élément saillant de la profusion de projets traçant l'avenir de l'autoroute urbaine, et qui visent à tout faire pour qu'elle cesse d'être ce qu'elle est, proposant qui des pistes cyclables, qui une ligne de tramway, et, d'une manière générale, sa transformation en un "boulevard urbain" consiste en ceci que leurs auteurs oublient, par étourderie sans doute, que tout cela existe déjà, de manière effective, fonctionnelle et efficace, sur cet anneau qui double le périphérique au plus près de la ville, et que l'on appelle le boulevard des maréchaux. De façon moins anecdotique, on compte visiblement beaucoup, pour remplacer le périphérique une fois déclassé, sur un axe qui existe déjà : il s'agit de l'autoroute A86 qui, au moins sur les cartes routières, double le boulevard annulaire quelques kilomètres plus loin.
Malheureusement, cette solution s'accompagne de deux inconvénients que l'on n'évoque guère : déjà saturée, cette circulaire est incomplète. Toujours à l'ouest, pour préserver la tranquillité des habitants et la paix de leurs forêts, le viaduc devient tunnel, un tunnel à péage, réservé aux seuls automobilistes. Le transit des poids-lourds, cette servitude qui n'est pas près de disparaître, doit donc s'effectuer ailleurs : où prendra-t-il place quand le périphérique lui sera interdit ?

Comme sortie du chapeau d'un illusionniste, cette fausse solution, qui satisfait la proche banlieue tout en rejetant les nuisances au loin, permet d'entrevoir la raison d'être de ce projet. Un coup d’œil aux annexes du rapport confirme cette impression. Elles présentent en effet, et en détail, une impressionnante liste de ZAC, ces plans d'aménagement d'espaces autrefois déshérités mais aujourd'hui, dans une ville désespérément en manque des terrains à bâtir, vitaux, zones toute situées autour du, sous, et parfois sur, le périphérique, et dont la plus célèbre accueille, à quelques mètres de l'anneau infernal, le tribunal de Paris. Si Paris veut en finir avec le périph', c'est parce qu'elle a besoin des terrains qu'il occupe : pour cela, il lui faut s'entendre avec les riverains, ces communes de la petite couronne invitées, par faveur spéciale, à donner leur avis lors de la consultation, et donc agir ainsi de concert, au détriment des villes plus éloignées, qui subiront les conséquences du report du trafic.

Il fut un temps où Paris était une capitale, une ville qui, d'une certaine manière, acceptait, en échange des multiples avantages que lui apportait son statut, des servitudes de nature diverse qui, au demeurant, ne découlaient pas tant de sa position centrale que de sa situation au cœur d'une métropole qui compte douze millions d'habitants. Avec l’aristocratie rose-verte aujourd'hui au pouvoir et son imaginaire villageois, ces servitudes sont, méthodiquement, l'une après l'autre, effacées, quitte à les déporter intégralement sur ses voisines. Pour ce faire, cette ville écrasante abuse sans l'ombre d'un scrupule de sa position de force. La production de cette chimère administrative dans laquelle une ville se confond avec un département a démontré combien elle était nuisible : pour rétablir un peu d'équité, pas d'autre moyen que de dissoudre cette municipalité dans un ensemble plus vaste, que, par respect de l'histoire, on pourrait appeler le Grand Paris, et de revenir au système des mairies d'arrondissement. La mise sous tutelle publique d'une ville en faillite après 2024 fournirait un prétexte idéal à cette nécessaire réforme.