Au lendemain de ce qu'il est désormais convenu d'appeler la vague verte des municipales, Les Échos consacraient une page entière à ce sujet, page qui s'ouvrait par un commentaire pas très éloigné du dithyrambe ce qui, malgré tout, surprend un peu dans une publication en principe attachée à la cause du capitalisme triomphant. Mais l'important arrivait ensuite. Les électeurs ayant placé sept nouveaux venus à la tête de villes de plus de 100 000 habitants, il était indispensable de faire leur connaissance grâce à de courtes notices bibliographiques. Reprendre ces notices permet de tirer de bien intéressantes conclusions qui seront, comme toujours, de nature sociologique. Résumons donc ce matériau, en procédant par ordre alphabétique.

À Annecy, on trouve avec François Astorg un profil atypique, autodidacte devenu consultant en management tout en rejoignant EELV en 2009. À Besançon, Anne Vignon géographe, ingénieure recherche au CNRS a accumulé une certaine expérience politique depuis qu’elle a été élue conseillère régionale en 2009. Prise majeure, Bordeaux a désormais comme maire Pierre Hurmic, "le catho basque" écrivent Les Échos, avocat de 65 ans, Vert depuis la création du parti et élu à la région, puis au conseil municipal, depuis 1992. Prise capitale, Lyon est désormais administrée par Grégory Doucet, parisien, diplômé de l'ESC Rouen ; il a fait sa carrière professionnelle dans l’humanitaire, chez Handicap International, tout en rejoignant EELV en 2009. Seulement âgée de trente ans, diplômée de Sciences Po Léonore Moncond'huy, désormais maire de Poitiers, administratrice dans le scoutisme protestant, est cadre chez Cayambe Éducation. Juriste spécialiste de l’environnement, "engagée dans le milieu associatif", membre d'EELV depuis 2013, Jeanne Barseghian a été élue maire de Strasbourg. À Tours, enfin, ce poste échoit à Emmanuel Denis, ingénieur chez ST Microelectronics et, en même temps, administrateur de la section locale des inénarrables Robin des Toits, lui aussi adhérent d'EELV depuis 2013 et, fait rare, tête de liste du même parti lors des précédentes municipales.
Fort succinct, ce résumé témoigne, une fois de plus, de la force des invariants sociologiques. Tous cadres ou professions libérales, tous évoluant dans le secteur tertiaire à la notable exception d'Emmanuel Denis qui vaut comme une sorte de copie conforme d'un Eric Piolle, ces nouveaux élus partagent fréquemment deux autres propriétés caractéristiques : une activité dans le domaine humanitaire, généralement en lien avec le tiers-monde, et leur foi chrétienne. Ce qui n'a absolument rien d'étonnant.
Sujet de cet ouvrage dirigé par Eric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Nonna Mayer, le tiers-mondisme, avec son engagement humanitaire souvent imprégné de catholicisme social, fournira la matrice de l'altermondialisme, et, d'ATTAC à la Confédération Paysanne, donnera naissance à nombre d'organisations militantes qui forment une manière de substrat alimentant en partie l'écologie politique. Christianisme, engagement humanitaire, anti-capitalisme, autant de causes partagées par la mouvance écologiste, et qui font du militant EELV une sorte d'entrepreneur de morale multicartes.

Difficile, évidemment, de tirer des conclusions utiles d'effectifs aussi faibles. Heureusement, grâce a Rue89Lyon qui s'est tout récemment livré au même exercice, mais cette fois-ci avec les 22 élus lyonnais de la liste de Grégory Doucet, on dispose de quoi valider un peu mieux ses observations. Et ces fiches biographiques révèlent, en première analyse, une uniformité proprement effrayante. Centrale, Sciences Po Grenoble, masters ou diplômes d'ingénieurs divers, doctorats en droit ou en géographie, tous ces élus sont diplômés du supérieur. À une seule exception près, aucune diversité non plus dans leur origine ethnique. Dignes représentants de cette nouvelle aristocratie intellectuelle des centres villes, ils se ressemblent aussi par leurs métiers, enseignants, consultants, ingénieurs d'études avec parfois plusieurs occurrences de spécialités étroites comme l'urbanisme. À l'inverse, des secteurs entiers des professions intellectuelles manquent à l'appel, tels les métiers de la gestion, la santé ou la haute fonction publique. Tous semblables, tous interchangeables, dépourvus d'originalité, promoteurs d'une idéologie aussi mesquine que régressive, ces élus ne comptent pas pour peu dans l'ennui incommensurable qui accompagne cette époque sinistre. Avec eux, on retrouve un peu l'entre-soi de Terra Nova, think tank en théorie, club de quadragénaires socialistes HEC-Sciences Po-ENA en réalité. Mais ceux-ci, au moins, ne font que produire des rapports là où les exécutifs municipaux disposent de larges possibilités d'agir sur la vie quotidienne de leurs administrés, et en disposent pour six ans puisque, avec celui des sénateurs, leur mandat est le plus long de la République.

À Lyon, de plus, les conseillers municipaux de la majorité, tous sauf un, sont novices. Et ils partagent avec leurs collègues des autres villes une ultime propriété, celle d'être, et de très loin, les représentants les plus mal élus de toute l'histoire de la Vé République. La minceur de la couche sociale dont font partie ces élus recrutés dans quelques fractions des catégories supérieures n'a d'égale que l'étroitesse de leur base électorale. N'ayant d'autre expérience politique qu'un militantisme, le plus souvent, de fraîche date, ils débutent leur mandat avec une inexpérience totale, tout en subissant le handicap d'une illégitimité considérable. La raison voudrait que, dans de telles circonstances, ils fassent au moins preuve de quelque prudence. Hélas, ils appartiennent à un parti adepte des mesures radicales, et qui n'est pas spécialement connu pour ses inclinaisons libérales. Avec un brin de cynisme, ils pourraient prendre acte des conditions exceptionnelles grâce auxquelles ils se retrouvent au pouvoir, et imaginer qu'elles ne se reproduiront pas. En somme, ils ont maintenant six ans pour tout changer, sans avoir à tenir compte d'aucune opposition s'exerçant à l'intérieur du cadre institutionnel. Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?