Avouons-le d'emblée : on n'est pas opposé au fait que les propriétaires de deux-roues motorisés payent le stationnement de leur véhicule sur la voie publique, pour peu que de simples règles d'équité et de proportionnalité soient respectées. Projetons-nous donc dans une démocratie idéale, dans laquelle les droits des citoyens ne dépendent pas de l'endroit où ils habitent, et imaginons la politique qui permettrait de mettre en œuvre ces principes. Qu'ils possèdent deux ou trois roues, les véhicules relevant de la catégorie L ont comme première propriété d'occuper à peu près quatre fois moins d'espace qu'une automobile : il convient donc avant tout de leur appliquer un tarif quatre fois inférieur à celui que paye un automobiliste. La grande famille des deux-roues motorisés comprend par ailleurs, avec les cyclomoteurs et les motocyclettes légères, des engins purement utilitaires et de faible coût, dont le prix est souvent inférieur à celui d'un vélo à assistance électrique : l'équité, cette-fois ci, commande que leurs utilisateurs souvent modestes bénéficient d'un tarif bonifié. Il faut, enfin, préciser les modalités d'application de cette redevance. Posant donc comme principe l'occupation de l'espace public, cette taxe devrait être perçue auprès des seuls résidants, puisque les visiteurs, travailleurs ou consommateurs, viennent contribuer à la richesse de la ville sans pour autant saturer son espace. De plus, cette dernière mesure entraîne un avantage annexe, celui d'épargner au visiteur le besoin d'aller chercher un ticket à placer derrière son pare-brise, opération qui devient un peu compliquée quand on conduit un véhicule dépourvu du pare-brise en question.

On l'aura compris, ce monde idéal n'a rien de commun avec celui que construit la mairie de Paris, toute occupée qu'elle est à poursuivre sa politique anti pareto-optimale, puisque les faveurs qu'elle accorde au seul développement du vélo nuisent à toutes les autres catégories d'utilisateurs de l'espace public, et en premier lieu aux piétons. Autrefois relativement tranquilles sur ces trottoirs qui leurs sont légalement réservés, ils doivent désormais y subir la concurrence de cyclistes qui, en toute illégalité, sans craindre la moindre sanction et avec une parfaite impudence, ont décidé qu'ils se trouvaient beaucoup mieux à circuler là plutôt que dans la rue, et souvent quand bien même la rue en question accueille une piste qui leur est réservée.

Cette municipalité dont la considération pour le genre humain se limite visiblement aux seuls parisiennes & parisiens fait à ses électeurs une offre qu'ils n'ont pas le droit de refuser, puisque les obstinés adeptes de la bécane thermique bénéficieront d'un rabais de moitié par rapport au tarif automobile pour garer leur engin en bas de chez eux, et seulement là. Qu'ils utilisent leur véhicule pour aller travailler dans un autre quartier, ce à quoi, généralement, cette machine sert, et ils se verront traités comme n'importe quel allogène. En l'état actuel des connaissances, compte tenu du fait que l'offre en matière de parking souterrain pour les deux-roues relève largement de la fiction, les plus modestes d'entre eux s’acquitteront alors d'une redevance annuelle supérieure au coût d'achat de leur utilitaire.
Tels étaient, du moins, les plans. Mais quelques semaines avant ce fatidique premier janvier où la nouvelle année devait sonner la fin du stationnement gratuit pour les deux-roues motorisés, voilà qu'on rétrograde ; finalement, la mesure n'entrera en vigueur qu'en septembre, soit avec pas moins de huit mois de retard. Les éclaircissements confus du responsable de la chose pointent comme toujours un problème technique, et les habituels coupables, l'informatique, et la mauvaise volonté d'un gouvernement hostile. Des explications qui paraissent à certains un peu courtes.

Alors, certes, on peut se contenter de voir là la marque habituelle de l'amateurisme et du dogmatique caractéristiques du militant écolo. On voudrait, pourtant, aller un peu au-delà de la facilité. L'univers des deux-roues motorisés, appellation extrêmement générique qui englobe aussi bien le travailleur précaire sur son vieux cyclomoteur deux-temps bruyant et polluant que l'aristocrate des circuits allant travailler en supersport, en passant par la norme urbaine du navetteur sur sa motocyclette légère dont on a présenté un exemple plus haut, est aussi large que, socialement, économiquement, et sociologiquement, complexe, absolument spécifique, et réductible à aucun autre. Le connaître implique d'engager quelques moyens, de prendre un peu de temps, et de laisser de côté ses prénotions. Et si l’État ne se donne même pas la peine de faire cet effort on se trouve, dans le cas parisien, un pas plus loin. Pour la municipalité actuelle, pas du tout gênée d'avoir totalement renié ses engagements, ce monde pourtant très banal n'est pas seulement étranger : c'est un monde dont elle ne veut rien savoir. En refusant de connaître et de reconnaître le choix des citoyens qui roulent en motocycle, elle ne laisse d'autre espace que celui de l'affrontement.