On change, en vingt-cinq ans. Les quelques vieux fidèles du Continental Circus se souviendront de Jacques Bolle et de son frère Pierre, qui, parmi les derniers de cette génération de pilotes français présents sur tous les circuits et dans toutes les catégories durant ces années 70 et 80, s'illustrèrent notamment en 250. En 1983, sur une célèbre moto jaune et bleue, Jacques remporta, en Grande-Bretagne, sa seule victoire en Grand Prix. Et de rares cinéphiles se rappelleront aussi cette silhouette mince et cette tignasse bouclée, qu'ils découvrirent quelques années plus tôt, lorsque sa carrière en était encore à ses débuts, avec Courts Circuits, le premier long métrage de Patrick Grandperret. Reconverti dans les salles de sport après avoir obtenu un DESS de droit, Jacques Bolle n'abandonnera pourtant pas le milieu de la moto, d'abord comme président du moto-club de Lésigny, puis en gravissant les échelons au sein de sa fédération sportive.
Une carrière, en somme, assez comparable à celle d'un Serge Blanco, jusqu'à ce dramatique accroissement de charge pondérale qui semble frapper comme une malédiction tous les sportifs passés du terrain aux instances dirigeantes de leur sport. Et aujourd'hui Jacques Bolle accède au sommet puisque, presque à l'unanimité, il vient d'être élu à la tête de la Fédération Française de Motocyclisme. Il n'y aurait sans doute guère plus à en dire si, comme le relève pertinemment Moto Net, Jacques Bolle ne concluait pas sa déclaration liminaire de nouveau président d'un engagement troublant, celui de lutter contre la "motophobie".

Ce terme, en effet, ce ne l'a pas lui qui l'a inventé, et il n'a rien d'ordinaire. Calqué sur l'homologue homophobie, il est né voici quelque temps au sein de la FFMC, organisation de défense des droits des motards depuis bientôt trente ans, la lutte contre la motophobie constituant un axe majeur de revendications, et un motif de mobilisation toujours vivace et efficace. Or, entre ces deux Fédérations que le C distingue, les relations n'ont jamais été cordiales. La volonté de la FFM de ne s'occuper que de l'aspect sportif d'une pratique de la moto en pleine explosion dans les années 70 a d'abord conduit à la création d'un réseau parallèle de moto-clubs appelés pirates, parce qu'ils n'étaient pas affiliés à la FFM, et ne pouvaient donc fournir à leurs membres ces licences indispensables à la compétition. Sur ce terreau, le développement d'une politique publique prohibitionniste à l'égard de la moto apporta l'impulsion nécessaire à la création, en 1980, de cette Fédération Française des Motards en Colère qui s'oppose presque terme à terme à l'officielle FFM, en particulier dans sa volonté de porter des revendications qui n'ont rien de sportif, et dans la confrontation qui naîtra alors et n'a depuis lors cessé avec les pouvoirs publics.

Voir le nouveau président de la FFM reprendre à son compte ce terme extrêmement situé de motophobie, et s'élever contre les contraintes réglementaires qui pèsent sur la pratique de la moto suscite moins l'espoir d'un rapprochement avec le mouvement motard, qui depuis toujours se passe très bien de la FFM, que le doute, celui d'une tentative de contournement qui verrait cette Fédération bien plus conciliante revendiquer auprès des pouvoirs publics un rôle bien plus large que la simple organisation du sport, et une représentativité qu'elle ne possède absolument pas. A moins, évidemment, que, pour Jacques Bolle, la motophobie ne concerne que les oppositions de plus en plus vives auxquelles le sport motocycliste doit faire face, en tout-terrain d'abord, mais aussi sur les circuits. Auquel cas, c'est bien volontiers qu'on le verra prendre en charge ces questions pour lesquelles il espère toujours trouver à l'UMP un allié de choix en la personne de Christian Estrosi. Après tout, celui qui fut son camarade d'écurie a su, lui, garder la ligne, et, parfois, il court encore.