On jurerait, si l'histoire ne se déroulait pas dans le milieu si distingué de la finance internationale, assister au boniment de marchands forains bradant leurs derniers articles avant de remballer les invendus dans le camion. Toute la semaine, la presse financière s'est interrogée sur la décote que subiraient les titres Natixis lors du lancement de l'augmentation de capital à laquelle la banque d'affaires, et ses infortunés actionnaires, doivent aujourd'hui, à cause de sa situation désastreuse, faire face. Natixis, nous apprennent aujourd'hui Les Echos, a en effet vu ses dépréciations d'actifs liées au marché américain du crédit passer de 35 millions d'euros au premier semestre 2007 à 1,95 milliard d'euros sur la même période de l'année 2008. Et les spéculations de début de semaine, portant sur un rabais de l'ordre de 40 %, seront rapidement enfoncées : sur la base du cours de l'action au 3 septembre, soit 5,84 euros, la décote s'établit finalement à 61,5 %, puisque, pour le commun des mortels, le prix du ticket d'entrée au capital du plus mal en point des établissements financiers français se monte à 2,25 euros.
Les actionnaires, et en particulier le public qui possède un quart du capital d'une société introduite en bourse en novembre 2006, jouiront d'un petit privilège, l'action nouvelle, dans un ultime geste commercial, leur étant proposée au tarif ridicule de 2,03 euros. Mais ce n'est pas ainsi que l'on masque les très mauvaises affaires, l'importance de la décote induisant logiquement une forte baisse du titre Natixis, lequel ne vaut plus, pour l'heure, que 3,61 euros. Introduite en bourse au cours de 19,6 euros, l'action aura donc perdu en à peine plus de dix-huit mois plus de 80 % de sa valeur.

La tourmente financière née de la crise des crédits hypothécaires américains, que le Conseil d'Analyse Économique étudie dans un long rapport, et dans une note de synthèse aussi courte que remarquable par la clarté tant de son propos que de la reconstitution de l'enchaînement des événements, a, en quantité comme en diversité, fait une véritable hécatombe de victimes collatérales. Si la Suisse et la Grande-Bretagne sont les premières touchées, la finance française voit quelques-uns de ses établissements les plus solides sévèrement plombés. Et les plus atteints ne sont pas ceux que l'on croit : si l'affaire Jérôme K. a dévoilé les mauvaises affaires de la Société Générale, la banque, selon Les Echos, n'occupe, avec 9,4 milliards de dollars de recapitalisation, que la troisième place au palmarès des établissements en détresse ; devant elle, on trouve respectivement Natixis, et le Crédit Agricole. Or, il n'échappera à personne que ces sociétés que le malheur rapproche se distinguent profondément par leur nature.

Si la Société Générale reste une classique entreprise cotée, avec 75 % de son capital en bourse, le Crédit Agricole présente une structure autrement plus complexe : certes, la société anonyme Crédit Agricole est elle aussi cotée, mais son capital est en majorité détenu par les caisses régionales, structures mutualistes et qui entendent le rester. Quant à Natixis, il s'agit d'une filiale conjointe, et détenue à parts égales et à hauteur de 35 % chacune, par la Banque Populaire, coopérative depuis 1917, et par la Caisse d'Epargne, qui l'est devenue en 1999. Le capital de la Banque Populaire est réparti entre ses sociétaires, tout comme celui de la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne ; et Natixis représente, pour les deux groupes, leur seule entité financière cotée. En d'autres termes, ce sont précisément les structures coopératives qui ont le plus risqué, et le plus perdu, sur, et à cause de, ce marché des crédits hypothécaires américains.
Pour une fois, la ménagère de Carpentras représente réellement le fonds de commerce de ces réseaux bancaires, auxquels leur implantation très large et très solide dans la banque de détail permet de céder sans trop de remords à la tentation du large, et de cette banque d'affaires si prestigieuse, si élégante, si éloignée des humbles origines de la paysannerie comme de la petite entreprise, si rentable, et tellement risquée. Le bon sens s'étant visiblement noyé lors de la traversée de l'Atlantique, les actifs toxiques récupérés là-bas suffiront à asphyxier les entités capitalistes nées des stuctures coopératives, et à déprimer les actionnaires qui n'en sont pas sortis à temps, en particulier ceux qui, derrière le placement de père de famille promis par leur banque de proximité, trouveront ces actifs hautement volatils de l'ingénierie financière, et ne resteront sans doute pas sans réaction face à l'effondrement du titre. Ainsi donc, les banques les plus engagées dans la crise du capitalisme sont précisément celles qui, en théorie, récusent les modalités de cette organisation de l'économie : faut-il que l'appât du gain soit irrésistible, pour que les plus vertueux y cèdent, et découvrent à leurs dépens que le savoir-faire qui fait la réputation des banques d'affaires ne s'acquiert pas avec les restes du Crédit Lyonnais. Au moins, la Caisse des Dépôts n'ayant jamais voulu de Natixis, l'État sort-il indemme de l'affaire : l'esprit en paix, la CDC a ainsi pu refuser tout secours à sa fille indigne.