Au coeur de la tourmente, en ces dramatiques instants où capitaines et équipages sont la proie d'un identique désarroi, en ce moment singulier où le politique n'a même plus la force d'expliquer à la population que son plan de recapitalisation des banques, auxquelles il fournira des fonds à 400 points de base au-dessus du taux sans risque, dans lequel, donc, il prêtera au taux de 8 % des capitaux qu'il emprunte à 4 %, loin de coûter quoi que ce soit a toutes les chances d'être fortement rémunérateur, il reste, au moins, un roc auquel s'amarrer, une eau que nulle tempête financière n'est assez puissante pour simplement troubler : c'est le secteur de l'économie parasitaire, qui s'incarne au mieux dans le tout nouveau plan de développement des énergies renouvables que vient d'annoncer le ministre d'État aux innombrables casquettes.

Il serait, évidemment, un peu long de tout analyser ; on se contentera donc de détailler le chapitre du plan que le ministre préfère, puisque, pour changer, ses soins ne se portent pas sur un éolien qui paraît subitement moins en cour, mais sur le solaire photovoltaïque, qui présente l'indéniable avantage, à l'opposé des parcs éoliens, de pouvoir être planqué sur les toits. Là, on met le paquet : avant la fin de l'année, le ministère lancera un appel d'offres portant sur la construction de centrales photovoltaïques qui devront entrer en service d'ici 2011, pour une puissance totale de 300 MW. Hélas, contrairement à ce que l'on pouvait lire dans la version papier de l'article de la Tribune dont le rédacteur, succombant à l'enthousiasme, annonçait "une puissance cumulée de 300 MW. Soit l'équivalent de deux centrales nucléaires", confondant centrale et réacteur et se trompant d'un facteur dix, cette capacité toute théorique à produire de l'électricité correspond, en fait, à la puissance d'une grosse turbine à gaz. Sauf que les turbines à gaz, à l'inverse des installations solaires, ne dorment pas la nuit. Mais il y a plus : le ministère a décidé que chaque région française disposera alors d'au moins une centrale. Pourtant, le ministre ne pouvait, moins qu'un autre, ignorer cette caractéristique profondément injuste du rayonnement solaire qui vient arroser de manière fort inéquitable les régions en question, comme le montre d'ailleurs la carte des irradiations qu'il met en ligne, et que l'on trouve dans une version moins chauvine sur le site du centre de recherches de la Commission Européenne. On constate ainsi que les malheureux habitants des zones déshéritées situées entre Lille et Valenciennes profitent d'un quota de rayons bienfaisants moitié moins important que les résidants de la Cerdagne. S'il existait une logique économique ordinaire pour justifier la mise en place de ces installations, elle imposerait au moins qu'on les implante dans les régions les plus favorables. Et puisqu'il n'existe aucune raison de respecter des frontières depuis longtemps caduques, il faudrait les installer dans la zone la plus ensoleillée d'Europe, l'ouest de l'Andalousie, où l'on en trouve en effet un certain nombre. Bizarrement, ce n'est pas là qu'elles prolifèrent, mais en Allemagne, patrie du solarpark ; par définition, un même investissement y génère pourtant deux fois moins d'électricité qu'en Andalousie, et se montre donc d'autant moins intéressant question réduction de l'effet de serre. Sans doute les nuages de dioxyde de carbone s'arrêtent-ils aux frontières, et celui que produit l'Allemagne possède-t-il l'étrange particularité d'être deux fois plus nocif que celui qui prolifère dans les cieux ibériques. D'où l'astuce du ministère, qui prévoit des centrales photovoltaïques d'autant moins puissantes que l'on remonte vers le nord. Ainsi, sans faire subir trop d'outrages ni à la physique, ni à l'économie, chaque région pourra disposer de son petit morceau de vertueux silicium à montrer aux enfants, espèce d'éléphant blanc qui, pour changer, sera bâti avec du sable.

En somme, il ne s'agit que d'un geste, à la portée purement symbolique, et pour un coût qui restera vraisemblablement assez modeste. Il en va tout autrement de la confirmation du montant des diverses subventions dont pourra profiter le particulier qui souhaite couvrir son toit de photopiles, subventions que détaille précisément l'association des industriels du solaire, puisque d'elles dépend son activité, et dont le montant est garanti au moins jusqu'en 2012. Ainsi, on profitera d'une part d'un crédit d'impôt représentant 50 % des dépenses liées au solaire, avec un plafond fixé à 16 000 euros pour un couple, et d'autre part d'un coût de rachat garanti de 55 centimes le kWh. L'électricien historique me facturant le même kWh, en heures pleines, 8 petits centimes, j'ai tout intérêt, à la place d'une bête auto-consommation de l'électricité que le soleil me fournit gratuitement, à lui revendre la totalité de mes électrons, et à couvrir mes besoins grâce à son réseau.
Bien des conversions à l'électricité verte ne se justifient que par ces purs effets d'aubaine ; il faudrait donc, pour assurer la rentabilité de cette technologie dans son état actuel et dans un système d'économie classique, trouver des clients prêts à payer leur électricité sept fois plus cher. Faute de volontaires, le système survit comme un parasite, grâce à une politique de subventions qui prend en charge l'essentiel du coût des installations, mais, compte tenu du faible nombre de celles-ci, représente encore des montants modestes. Ce qui, pour l'instant, sauve l'économie parasitaire en cet instant de brutal retour au réel, c'est sa nature de prototype, si bien incarnée par cette décision d'implanter une centrale par région, et une seule. Autant dire que le succès même de ce plan de développement la condamnerait : comme tout parasite, elle ne peut survivre qu'aussi longtemps que son hôte reste en vie.