Il n'est, au fond, guère compliqué de diriger un État, dès lors qu'une situation financière saine lui garantit les moyens de ses politiques. Celui-ci ne rencontrera pas plus de difficultés lorsque sa solvabilité se dégrade, aussi longtemps que l'épargnant, animé d'un raisonnable espoir de récupérer dividendes et principal, acceptera de couvrir ses déficits. Mais lorsque l'état-anesthésiste a fini de consommer sa dernière ligne de crédit, il ne lui reste plus d'autre choix que de faire appel à la ressource des pauvres : l'imagination. Nicolas Sarkozy, dans son programme post-électoral récemment détaillé à la télévision, revient ainsi sur le problème lancinant et éternel du logement, plus précisément de l'insuffisance d'une offre disponible à un coût que ménages et bailleurs sociaux sont disposés à accepter. Longtemps, la question fut résolue de la façon la plus simple, en enchaînant une si longue liste d'avantages fiscaux qu'il a fallu, pour s'y reconnaître, les baptiser chacun du nom de son promoteur. La dureté des temps condamnant ces solutions faciles, il faut innover, et inventer un dispositif qui produise quelque effet sans pour autant rien coûter. Ainsi vit le jour cette augmentation des droits à construire, qui permettra, durant seulement trois ans, de bâtir, sur un terrain identique, 30 % de surface en plus, une solution d'une si parfaite simplicité qu'on s'étonne qu'elle n'ait pas donné naissance à l'une de ces maximes qui vous marquent un quinquennat : monter plus pour construire plus. Dès lors, on ne peut qu'être surpris de voir une aussi brillante idée si fraîchement accueillie, et en premier lieu par la profession des bâtisseurs.

Car, montrant ainsi que le diable ne se cache pas uniquement dans les détails, cette règle si élémentaire révèle, une fois mise en œuvre, une étonnante capacité à produire des ennuis. Les difficultés sont d'abord techniques : pour passer de 37 à 48 mètres, il faut plus qu'une gomme et des crayons. Revoir totalement la conception d'un immeuble collectif, quand bien même sa construction n'aurait pas encore commencé, se traduirait par des retards inacceptables, ne serait-ce que pour des raisons contractuelles. Seuls pourraient donc profiter du rehaussement les bâtiments encore en projet, et qui ne souffriraient pas d'un délai de quelques mois. Or, la mesure n'étant effective que durant trois ans, ces contraintes vont fortement limiter son effet. Construire plus haut, de plus, ne permet pas de commercialiser des appartements plus abordables, et pour deux raisons. Si la densité a des effets positifs en réduisant les distances et en favorisant les communications, elle augmente aussi le coût de la construction, un immeuble étant d'autant plus cher qu'il est plus haut. En principe, ce surcoût devrait être minoré par un meilleur usage du foncier. Mais, on ne peut guère en douter, les calculs des propriétaires seront vite faits, et les bénéfices à attendre de l'accroissement de densité compensés par la hausse du prix des terrains puisque, on le sait, dans les grande villes, c'est le fonds qui manque le plus. Comme toujours, le propriétaire de la ressource la plus rare sera le mieux à même d'en tirer profit. Le plein effet de ces nouvelles dispositions, en somme, ne s'appliquera qu'aux promoteurs déjà propriétaires du terrain, mais qui n'ont pas encore commencé à construire dessus, ce qui limitera singulièrement leur nombre.
Enfin, au delà des inévitables récriminations des défenseurs du patrimoine, animal ou minéral, cette augmentation des densités risque de trébucher face à des adversaires de taille, les élus locaux. Son principe implique en effet de contourner leurs prérogatives, puisqu'elle s'impose à eux, et à leur Plan local d'urbanisme, à une condition essentielle, et dont il est difficile de s'abstraire, la municipalité disposant toujours de la possibilité de s'opposer, au cas par cas, à un projet. On imagine que, dans les grandes agglomérations, les services de l'urbanisme auront autre chose à faire que d'interdire, ici et là, à la discrète surélévation d'un pavillon ; les promoteurs de grands projets, par contre, auront toujours à combattre pour se voir reconnu leur droit à la hauteur. Et dans les villages, les bonnes relations avec le maire et les voisins détiendront la clé du chantier.

Le gouvernement, écrivaient Les Échos, attend de cette idée si simple 40 000 logements supplémentaires par an. Les mises en chantier de logements, individuels comme collectifs, selon l'INSEE, fluctuent assez largement d'une année sur l'autre, reflétant ainsi des variations plus globales : elles sont passées de 430 000 en 2007 à 305 000 deux ans plus tard. En 2001, avec 421 000 unités nouvelles, on touche le haut de l'intervalle, et ce n'est sans doute pas dû au hasard, mais bien à l'anticipation de la dégradation des conditions de financement qui accompagnera le grignotage d'avantages qui contribuent largement à la vitalité du secteur. Le construire plus représenterait donc de l'ordre de 10 % du total, et viendrait alors compenser très exactement la diminution de leur activité que les professionnels anticipent. L'idée semble si merveilleuse que l'on doit regretter de ne pas y avoir songé plus tôt. Dans les faits, elle permettra surtout au propriétaire de pavillon d'enfin construire sans rien demander à personne ce garage auquel il n'avait pas droit, et dont il rêvait depuis si longtemps. Ayant mangé son gros gâteau, l'État-illusionniste se trouve réduit à sortir de son chapeau une maigre carotte, avec laquelle il lui sera bien difficile de satisfaire l'appétit dévorant de la foule des rongeurs.