Si la période de la Conquête de Clichy, lorsque la droite lançait contre cette verrue socialiste jouxtant la très balkanyenne Levallois-Perret une intense bataille qui n'épargna même pas les boîtes aux lettres, vite engorgées par un afflux de périodiques aussi variés qu'éphémères acquis à la cause de tel ou tel candidat, est depuis longtemps révolue, résider dans une commune de gauche d'un département de droite inséré dans une région de gauche donne toujours accès à un vaste éventail de publications qui ont l'apparence de journaux ordinaires, de la maquette moderne au contenu anodin, mais qui, trop occupés à chanter les louanges des élus majoritaires et à prôner l'exemplarité de leurs actions, ne parviennent pas à cacher leur fonction très étroitement politique. Dernier arrivé, le journal du Conseil régional d'Île de France ressemble pourtant à s'y méprendre, jusque dans les déclinaisons accessibles en ligne et en Flash, à son concurrent et adversaire des Hauts de Seine, à l'évidence plus richement doté, mais, par définition, bien moins diffusé. La stratégie du mimétisme, où chacun s'efforce de dissimuler au mieux son véritable objet en se rapprochant le plus possible du modèle commun, la presse magazine, trouve ici un aboutissement qui contraint le lecteur à une minutieuse analyse, seule à même de reconstruire, sous l'apparence uniforme, la spécificité de chacun. Et la tâche n'est pas simple. Ainsi, retrouver dans le journal régional une figure bien connue et qui répond toujours présent dès qu'il s'agit de promouvoir le logiciel libre aurait, voici peu, permis de déterminer sans gros risque d'erreur la tendance politique de son directeur de la publication. Mais aujourd'hui, la banalisation du logiciel libre au service du bien commun ne permet plus d'établir une telle distinction.
Toujours ponctuée de ces articles de fond qui ont pour but de rappeler à quel point les citoyens sont formidables et leurs initiatives merveilleuses de pertinence et d'originalité, les journaux publiés par un acteur public se doivent quand même, parfois, de rendre quelques comptes du travail des élus. Le sujet du moment, de plus, est d'importance, puisqu'il s'agit de l'adoption par le Conseil régional du SDRIF, ce volumineux document prospectif que, de nos jours, l'on n'ose plus appeler plan mais, avec une modestie feinte qui ne trompe guère, schéma directeur, et qui trace la voie de l'aménagement régional jusqu'en 2030. Classique et utile travail de géographe obligatoirement assorti d'un riche et détaillé jeu de cartes, ce plan synthétise des années d'études, tout en masquant probablement d'intenses conflits dont on ne tient visiblement pas à nous entretenir puisque, nous dit-on, il a été voté à une large majorité, laquelle se trouve, bien évidemment, en plein accord avec le journal qu'elle édite.

La distinction, et la dissension, se réfugient donc dans les pages réglementairement réservées à l'expression des groupes politiques présents à l'assemblée régionale. Et l'on ne s'étonnera guère que, du Front National au CACR, chacun livre un commentaire consacré au seul SDRIF, commentaire qui permet enfin de repérer les positions de chacun, de l'accord à l'opposition, du regret à la déploration. Un seul parti ne prend pas part au mouvement, d'où l'on concluera en première analyse qu'il ne s'intéresse absolument pas au développement des transports en commun, qu'il n'a aucune opinion sur la préservation des espèces animales, qu'il ne professe aucun avis sur la qualité de l'air et des eaux : les Verts. Leur espace d'expression libre se trouve en effet intégralement occupé par un sujet dont on est forcé de croire qu'ils le trouvent bien plus important, leur irréductible opposition à l'implantation dans les terres de l'Île de France d'un circuit automobile destiné à la Formule 1. Certes, des projets existent, comme celui du Conseil général des Yvelines qui lui réserve un emplacement le long de la Seine, en lisière de l'usine Renault de Flins, et recrute le personnel d'encadrement chargé de mener l'affaire à bien. Mais, dans la région-capitale, au moment où le plan censé guider son développement durant les quinze prochaines années arrive en phase terminale et reçoit l'approbation de l'assemblée, lui préférer un sujet aussi anecdotique que la transformation de quelques hectares de champs coincés entre fleuve, usine et banlieue en un lieu récréatif pour sports mécaniques pose un certain défi à la rationalité.
Sans doute retrouvera-t-on là cet penchant à l'action locale qui a fondé les Verts, cette agrégation de centaines de petits conflits dans lesquels le parti s'est formé. Mais en relevant les thèmes abordés par le journal régional, une autre hypothèse s'impose. Un périodique de ce type est avant tout un concentré de littérature édifiante. On y croise donc des héros positifs, telle cette écologiste nettoyant les berges de la Seine, des projets à dimension humaine, comme l'écoquartier de Brétigny-sur-Orge, des initiatives exemplaires, la création de trois réserves naturelles régionales ou le Plan régional pour la qualité de l'air, et même un sympathique diablotin en la personne de Tristan Nitot, qui n'est pas le moindre des propagandistes environementalistes. Etrange revers pour un parti victime du succès public de sa thématique, dont la prétention à l'universel permet à chacun de ses adversaires de se l'approprier en toute légitimité : le voilà réduit à faire oeuvre de distinction en abandonnant aux envahisseurs son territoire d'origine, et à partir chasser en solitaire des gibiers si chétifs et si singuliers qu'ils ne risquent pas d'intéresser les grands prédateurs, pas plus, d'ailleurs, que les électeurs.