l'affaire
L'affaire ne saurait sans doute être mieux résumée que par ces quelques lignes que l'on trouve en première page du Monde de samedi, prélude à un copieux article signé Pascale Santi, qualifié d'enquête dans l'édition en ligne alors que la version papier se contente de le classer dans la rubrique Médias, et qui occupe la page trois du quotidien : "Poursuivi pour diffamation, le journaliste de Libération a été humilié et insulté". L'atteinte en question s'étant produite dans la matinée du vendredi 28, très précisément entre 6h40 et 11h30, le quotidien du soir a pu disposer de quelques heures de plus que ses confrères pour en faire le tour et en mesurer l'importance laquelle, au vu des réactions en chaîne que l'on observe aujourd'hui encore, semble d'autant plus considérable que, nous affirme-t-on, il s'agit là d'une atteinte aussi inouïe qu'inusitée à la liberté de la presse. Personne ne peut pourtant ignorer qu'elle est, d'un même mouvement, d'un point de vue judiciaire, déjà close, et qu'elle ne connaîtra aucune suite, et ce d'autant moins que ce fait est confirmé par notre bon Maître qui a veillé, en ce vendredi soir, jusqu'à des heures indues afin de rendre sa copie quelques heures avant que toute la presse papier du pays ne fasse de même. Arrivant comme toujours longtemps après la bataille, on dispose ainsi d'un corpus tant journalistique que blogosphérique grâce auquel on peut poser une question pour une fois pertinente, puisque les faits sont simples et racontés par une source unique, le journaliste interpellé : qui, de l'amateur ou du professionnel, nous permet de mieux comprendre le sens de ce qui a eu lieu ?
Si l'on pose comme postulat qu'une information publiée comme telle dans la presse devrait, dans les limites du possible, être neutre, circonstanciée et exacte, alors les quelques lignes du Monde citées plus haut, tout comme l'article qu'elles introduisent, ratent totalement la cible. Ici, il ne s'agit en effet pas d'un journaliste qui est poursuivi pour diffamation, mais d'un ancien directeur de publication, fonction entièrement indépendante du fait d'être journaliste ou pas, responsable en tant que tel de ce qui est publié dans un journal dont il est le représentant légal. De plus, le corps du délit ne sort pas de la plume d'un journaliste, mais se
trouve être un commentaire paru dans l'édition en ligne du quotidien. Tout le sel de l'histoire, et un des objets que les avocats de Libération contestent, tient dans le fait que le journal est poursuivi au même titre, et pour des propos du même ordre, que le plus anonyme des bloggeurs. Il arrive, en fait, à Vittorio de Filippis, le même genre de mésaventure judiciaire qu'à Daniel Bouton dans l'affaire dite du Sentier II : le sens commun n'imagine pas que le prince ait
à rendre des comptes sur la manière dont un de ses laquais s'est mal comporté avec une gouvernante ; la justice, si.
Quant aux circonstances, on n'en connaît que ce que le journaliste raconte ; et il ressort des commentaires et analyses que, de l'arrivée au commissariat à la remise en liberté du prévenu, la procédure a été suivie. Que l'on considère qu'elle n'avait pas à l'être compte tenu à la
fois de la nature de l'incrimination et de la position sociale du prévenu relève, au mieux, d'une appréciation purement subjective. La presse, dans son ensemble, s'en contente pourtant, étant, sans doute, incapable d'adopter à l'égard d'un confrère d'autre attitude que le soutien inconditionnel, et une surenchère d'indignation que son gonflement progressif rend à chaque instant plus dérisoire. Il faut aller chez Verel pour trouver un point de vue neutre et informé, lui qui procède par comparaison en décrivant un processus similaire dont a été victime une personnalité encore bien plus respectable qu'un journaliste, puisqu'il s'agit d'une sexagénaire, et d'une religieuse, et en tire des conclusions fort pertinentes. Reste la question de l'interpellation elle-même, et de l'attitude brutale et insultante dont le
journaliste affirme qu'il a été victime de la part des policiers du Raincy. Dans le Neuilly de la Seine-Saint Denis, les occasions grâce auxquelles les policiers
peuvent, pour changer, se payer un bourgeois et, mieux encore, un journaliste, sont sans doute suffisamment rares pour qu'ils aient à coeur de ne pas les gâcher. Malheureusement, pour l'heure, l'avis des correspondants locaux ne permet nullement d'étayer une hypothèse qui, pourtant, compte tenu d'une expérience personnelle déjà ancienne, paraît tout à fait envisageable. Mais, de toute façon, on argumente ici en pure perte : faute de témoins, l'individu se trouve désarmé face au témoignage du fonctionnaire assermenté.
L'époque paraît incroyablement ancienne où, dans ce Libération qui n'a avec l'actuel pas tellement plus en commun que le titre, Christian Hénnion tenait la chronique quotidienne des jugements en flagrants délits, et de la procédure judiciaire envisagée sous son aspect le plus expéditif. Si loin soit le terrain, il reste quand même un peu étonnant de voir des journalistes demander à leurs lecteurs à quoi ressemble cette chose qu'ils semblent avoir perdue de vue, la réalité ordinaire. Ils devraient lire les blogs plus souvent.
Commentaires
Voir Etienne Mougeotte prendre, dans le Figaro, la défense de Libération au nom de la Liberté de la presse, avait quelque chose de savoureux.
C'est une attitude joyeusement corporatiste du responsable de publication qui d'un seul coup se rend compte qu'il pourrait, lui aussi, être contraint d'éternuer en tournant le dos à un policier qui inspecterait son anus....
La seule question intéressante est de savoir pourquoi les policiers on traité un ex-pdg de Libération comme n'importe qui, au risque de mettre sur la place publique la manière dont ils traitent tout le monde et qui reste simplement indigne.
La seule vraie question dans cette histoire, c'est de savoir si, au-delà de la tri-toux, Vittorio de Filippis a subi ou non le fameux toucher rectal. Car enfin les compte rendus sont étonnamment pudiques sur la question, et je n'ai lu nulle part (mais je n'ai pas tout lu non plus...) qu'il ait eu son examen prostatique "en dur", si je puis m'exprimer ainsi.
La question corollaire, bien entendu, serait alors de savoir si il:
1. a souffert la malemort;
2. y a éprouvé un certain plaisir;
3. s'est fait péter l'hémorroïde.
La presse est décidément vraiment en-dessous de tout, et surtout de son devoir d'information.
A mon humble avis, Verel répond de façon tout à fait convaincante à la question de Vincent : même si l'on peut imaginer que, dans l'une de ces sympathiques maisons de ville qui font la réputation du Raincy, on risque peut de tomber sur de la "racaille", les policiers ignoraient à qui ils avaient précisément affaire et, surtout, pourquoi. D'où la tactique universellement mise en oeuvre par ceux qui peuvent avoir à répondre des conséquences de leurs actions : on prend pas de risques, et on se couvre. On peut d'autant moins le leur reprocher que, souvent, c'est dans ce genre de situation banale, dans les interventions à domicile pour des faits de violence conjugale par exemple, que des policiers se font tuer.
Voilà qui nous enseigne, une fois de plus, l'immense relativité des choses. Car après tout, à peu près personne ne se tourmente à l'idée de tousser et de se déshabiller devant un médecin. Pourquoi n'en serait-il pas de même devant un policier qui, lui aussi, n'a, dans ces circonstances, d'autre souci que votre bien ?
Denys tu poses la question de la différence entre le policier et le médecin. En fait je dirais que le policier est dans son acte professionnel une émanation de la puissance publique.
Il est intéressant de noter que si l'Etat n'a plus le pouvoir de trancher la tête d'un citoyen, il conserve cependant la faculté de lui enfiler un doigt dans le cul sans autre forme de procès.
(Briscard je ne crois pas qu'en l'espèce les policiers soient aller jusque là)
D'ailleurs, je lis à l'instant dans le Monde daté de mardi, et que j'achète le mardi, que Vittorio de Filippis se demande : "comment sont traités les étrangers sans papiers qui ne parlent pas français".
Donc, c'est confirmé : il ne lit pas Eolas. Tout s'explique.