panacée
La presse grand public se trouvera sans doute bien trop préoccupée de mauvaises nouvelles pour s'intéresser, même furtivement, au récent communiqué dans lequel une obscure société espagnole faisait part du démarrage de sa première usine, à Alicante, sur une cimenterie du mexicain Cemex. La presse économique ne partageant pas les mêmes préoccupations, La Tribune de mardi consacra pourtant à cette information une pleine page ; en effet, il s'agit de la première application d'un procédé qui sort ainsi du statut expérimental qui a été le sien durant quelques années, et qui vise à produire une gamme complète d'hydrocarbures en cultivant du phytoplancton. Par rapport aux biocarburants tirés du maïs ou de la betterave, et dont l'effet principal, et l'intérêt essentiel, s'exerce au profit de la trésorerie des exploitants agricoles, et au détriment des motocyclettes dont les moteurs encaissent difficilement l'E85, ces algues unicellulaires présentent une remarquable quantité d'avantages. Le premier, et le plus important, tient à leur très forte concentration en huile, bien supérieure à celle de n'importe quel végétal terrestre. Comme l'illustrait une récente conférence de chercheurs des Sandia National Labs, pour produire avec du maïs une quantité de carburant égale à ce dont le phytoplancton est capable, il faudrait occuper à peu près toute la surface des États-Unis, alors que les algues se contenteront d'une partie du désert de l'Arizona. Dans le processus développé par BFS, les algues consomment le gaz carbonique émis par une installation industrielle contiguë, ici une cimenterie. Elles croissent par photosynthèse, exposées au soleil dans des tubes qui, à la différence d'un procédé concurrent qui emploie de vastes piscines, nécessitent très peu d'espace, et les isolent de leur environnement. Ces cultures profiteront idéalement de conditions désertiques, valorisant des terrains impropres à l'agriculture, en évitant donc la concurrence avec l'alimentation humaine et animale. Les algues, de plus, sont riches de différentes substances fort valorisables, comme des Oméga 3. Le coût du baril ainsi produit ne dépasserait pas les 30 dollars, soit très largement moins que le cours actuel de cette matière première. Et le fait que, dans l'article de La Tribune, Lafarge, principal concurrent de Cemex, critique le procédé avec virulence doit sans doute être compris comme l'aveu de l'intérêt qu'il présente. Tout ça, en somme, est merveilleux.
On l'aura compris, on tient là un désastre potentiel pour l'intégriste Vert. Car sa prophétie de malheur s'appuie sur l'évidence d'un monde fini, dont on a désormais atteint des limites physiques impossibles à reculer, qui ne dispose que d'un stock déterminé de matières valorisables qu'il faut aller chercher toujours plus loin, et plus profond, et dont l'exploitation entraîne à la fois leur destruction irrémédiable, et des déséquilibres planétaires aux désastreuses conséquences. La solution pour laquelle il milite réside dans la modération, l'adaptation de la consommation humaine aux capacités données comme intangibles de la terre dans ses dimensions actuelles : ainsi, il lui est possible de présenter comme seule valide sa conception du monde tel qu'il doit être, conception qui valorise la position sociale du groupe auquel il appartient et son idéal de frugalité, et légitimise son action politique, contraignant, en tant que détenteur du monopole de l'unique solution garantissant l'avenir de l'humanité, ceux qui ne partagent pas son ethos à se soumettre à son autorité. Mais rien n'est jamais fini tant, du moins, qu'on n'a pas tout essayé. Certes, produire de l'éthanol à partir du blé, du maïs, de la canne à sucre ou de la betterave pour en remplir les réservoirs des automobiles ne présentait d'autre avantage que le recours à un procédé
éprouvé dans les distilleries de rhum ou de whisky, et donc à une chaîne de production déjà opérationnelle, ne nécessitant guère de recherche, mais fort peu efficace. Imaginer que
l'on en resterait là, s'appuyer sur ce premier exemple pour discréditer l'ensemble du concept, c'était prendre ses désirs pour des réalités.
Avec BFS, avec ses concurrents tels Solazyme ou Fermentalg qui travaillent sur des procédés radicalement différents, et seulement quelques années plus tard, on voit déjà apparaître des processus opérationnels qui résolvent les principaux défauts de la première génération, et fonctionnent en symbiose avec l'industrie d'aujourd'hui. BFS, par exemple, a besoin de grandes quantités de soleil et de gaz carbonique. Ces matières premières, il peut les trouver au Qatar, où l'espace et le soleil ne manquent pas, et où Oryx, filiale commune de Qatar Petroleum et du sud-africain Sasol, exploite une usine de carburant synthétique utilisant ses gigantesques ressources de gaz, et selon un procédé qui génère de grandes quantités de CO2. On voit tout l'intérêt que
l'intégriste écologiste éprouve à faire passer comme inutile, et à disqualifier comme scientiste, une recherche, et une conception, qui pourraient bien résoudre les problèmes de l'humanité de la manière dont celle-ci les a toujours résolus, par l'invention.
Financé par l'endettement public, le développement durable risque de prendre fin bien plus tôt que prévu. On pourrait, à la place, voir naître de nouvelles industries qui, dans le cas présent, en plus de présenter une solution pérenne, décentraliseraient la production d'hydrocarbures, et permettraient de s'affranchir de la dépendance à l'égard des propriétaires de ressources fossiles. Alors, ce maudit CO2 pourrait bien, un jour, devenir précieuse matière première que l'on échangera par gazoducs. Et on en consommera tellement qu'il viendra à manquer, et qu'on ira le chercher dans l'atmosphère, mettant ainsi en danger son fragile équilibre.
Commentaires
Au Qatar, on risque vite de manquer de place. Vous me direz qu'avec le désert saoudien ou le Sahara, on devrait pouvoir produire sur une certaine surface.
Tous ces procédés vont sans doute rencontrer l'opposition des écolos. Par exemple, ils ont besoin d'une tour de cracking (alimentée à l'électricité nucléaire). Et ce type de production est sans doute un domaine rêvé pour les OGMs. Rien que des bonnes raisons!
Je ne crois pas que ça pose un problème à long terme pour la composition de l'atmosphère. On est plutôt alors dans une logique de circuit fermé: toute cette huile est brûlée et retourne dans l'air comme CO2. Mais bon, le CO2 est déjà un des gaz les plus chers en bouteille.
Très bon billet. Merci.
Une espèce vivante mais que l'on ne rencontre sur la terre ferme qu'échouée sur la plage, et en cours de décomposition, un procédé de culture qui l'isole totalement de son environnement, une matière première que l'on détruira en bout de chaîne dans un moteur, et, accessoirement, l'Espagne, fer de lance des OGM en Europe : il est clair que l'on tient là des conditions idéales pour le génie génétique ; à tous les coups, la troisième génération des carburants verts sera transgénique.
Cela dit, ce billet ne se limite pas à mettre en valeur mon fonds de commerce habituel, exploiter n'importe quelle occasion de se moquer des Verts. Il évoquait aussi les problèmes que génèreront les choix déjà faits en matière énergétique, et qui relèvent d'une notion fort utile et bien expliquée dans ce billet de feue Libertés Réelles, la path dependency. L'idée est que, lorsque, pour une raison ou l'autre, un nouveau problème apparaît, plusieurs solutions sont possibles. Mais une fois que l'une d'entre elles a été choisie et que des règlementations, des institutions, des techniques ont été créées pour la mettre en œuvre, il devient très difficile, pour plusieurs raisons d'ordre politique, économique et sociologique, d'y apporter des changements significatifs. C'est ce qui se passe avec les énergies renouvelables : l'épuisement des réserves fossiles, l'augmentation des gaz à effet de serre ont induit un changement très brutal, sur une dizaine d'années, et pas encore généralisé, des politiques publiques, et conduit à privilégier les choix énergétiques présentés comme alternatifs par les propriétaires du problème, les écologistes, lesquels ont ainsi pu revendiquer avec succès le monopole de la solution à ce nouveau problème. Or, ces vieilles énergies, le soleil, le vent, l'eau, n'ont pas comme seules caractéristiques de satisfaire aux nouvelles exigences écologiques : elles ont aussi de lourdes conséquences, puisque, par exemple, aucune d'entre elles ne permet de remplir un réservoir, et que, donc, les adopter, c'est adopter la vision écologiste dans son ensemble, et changer fondamentalement bien des situations économiques et sociales, en particulier dans le domaine des transports.
Or la brièveté même de la transition a jusqu'ici interdit le recours à d'autres solutions, celles qui ont typiquement besoin du temps long, voire extrêmement long avec ITER, du développement scientifique. Les recherches sur le phytoplancton montrent bien combien la recherche scientifique, qui a justement comme fonction d'explorer toutes les voies, peut apporter du neuf en réconciliant les exigences environnementales, et le mode de fonctionnement actuel de la société. Mais elles vont devoir affronter le chemin déjà tracé, heureusement suffisamment nouveau et embryonnaire pour ne pas causer de dégâts irrémédiables, mais qui a déjà ses bastillons, ses détenteurs, et ses obligés, lesquels, par exemple, font aujourd'hui campagne pour le maintien des subventions au photovoltaïque.
Clap! Clap! Clap!
Pour le billet et son commentaire.
Puisqu'il faut aussi parler un peu sérieusement, je ne crois pas que la réglementation actuelle soit un réel frein pour des solutions comme celle-ci. Par contre, le succès de l'éthique des écolos rend une partie de la réglementation particulièrement coûteuse pour tous ceux qui ne veulent ou ne peuvent en exploiter les opportunités. Tout le monde ne peut pas forcément installer des panneaux solaires chez lui aux dépens de la collectivité. Ce coût est à mon avis ce qui donnera la limite principale à l'importance réelle de l'éthique écolo. Cela sera principalement un affichage pour paraître quelqu'un de "bien", de la même façon qu'on s'achète un 4x4 pour paraître important.
La politique de limitation de l'usage des énergies fossiles n'est pas neuve non plus en France, ni plus généralement en Europe. L'impératif premier a été géopolitique, pour éviter d'être à la merci des états exportateurs de pétrole à la suite des 2 chocs pétroliers. C'est ainsi qu'en France, on a installé des centrales nucléaires, qu'on a instauré de fortes taxes sur les carburants et qu'on a payé grassement les particuliers pour qu'ils fassent des travaux d'isolation chez eux.
Comme ce problème de dépendance ne peut que se renforcer à mesure qu'on exploite les gisements et que d'autres pays se mettent à consommer en grande quantité, cette politique de restriction ne peut que se renforcer. On y a aussi ajouté d'autres préoccupations comme le réchauffement climatique. Les groupes d'intérêts qui ont façonné les réglementations antérieures n'ont pas disparu, ce qui explique qu'on donne à la fois aux agriculteurs de grandes cultures et aux écolos. Les industriels eux aussi ont eu leur part: sachant qu'on ne peut pas échapper aux réalités de l'exploitation pétrolière, ils ont cherché à ce que ça se fasse pour eux au coût le plus bas, d'où l'idée du marché des émissions de CO2. C'est aussi une idée qui vient des sciences éco, ce qui montre aussi que parfois elles ont une influence réelle. Alors oui, les techniques existantes se sont sans doute taillées la part du lion, mais c'est une constante de l'histoire humaine: on ne peut bien aider ou empêcher que ce qui a été déjà conçu. Ce qui n'est pas anticipé ne peut par définition faire véritablement l'objet de la réglementation. Elle ne peut qu'éviter de l'empêcher d'avoir des effets bénéfiques. Je ne vois pas très bien ce qui est le facteur limitant de ce point de vue.
Ça a l'air super cette histoire.
Mais je ne comprends pas très bien en quoi ça déplairait aux verts (à moins de faire dans le procès d'intention). Fabriquer un carburant à partir du CO2 (et particulièrement du CO2 atmosphérique), c'est la solution idéale aux problèmes des rejets de gaz à effet de serre, puisque le CO2 circule au contraire en circuit fini.
En revanche l'idée de coupler cela à des industries rejetant du CO2 ne me paraît pas viable quantitativement : un atome de carbone étant un atome de carbone, pour avoir un C dans une molécule de carburant, il faut que l'industrie soure ce C produise un CO2. Ça m'étonnerait fortement que toutes les cimenteries du monde suffisent à alimenter toutes les voitures en essence (cf par exemple cette table http://www.epa.gov/climatechange/em... "By far the largest source is fossil fuel combustion"). Bref, tant qu'on ne prend pas du CO2 dans l'atmosphère, c'est une fausse bonne idée.
Justement, mon cher Tom, l'intérêt du procédé réside dans sa capacité à récupérer le CO2 sur les lieux mêmes où il est produit en grandes quantités, donc par exemple dans les centrales thermiques au charbon et pas au pot d'échappement des véhicules. Le concept ressemble un peu à celui du cycle combiné, où l'on récupère la chaleur produite par des turbines à gaz pour alimenter une turbine à vapeur et où, par exemple, en plus des deux fois 400 MW des turbines à gaz on a 200 MW gratuits, produits par une turbine à vapeur. Et c'est sans doute là qu'on trouve sa limite : on ne pourra en effet pas produire plus que le volume de CO2 facilement exploitable mais, déjà, ça doit faire pas mal.
Penser que le radicalisme écologiste verra ce genre de chose avec bienveillance, c'est être un bien mauvais sociologue, et se montrer aussi naïf que ces enduristes qui pensent qu'on les laissera tranquillement parcourir les chemins et sentiers une fois qu'ils auront remplacé leurs motos bruyantes et polluantes par des machines électriques.