Qu'est-ce qu'un scrutin à dimension locale ? Sans doute une élection où l'on vote moins pour une famille que pour un individu, ce qui explique que l'on puisse mettre de côté l'illusion d'avoir des principes pour voter pour, ou contre, ce maire qui augmente les impôts et construit des piscines. A quoi le reconnaît-on ? Sans doute au fait que les stratégies électorales des candidats et des électeurs s'y croisent en sens contraire, et que les résultats de ces élections restent indéfinissables si l'on ne s'attache qu'à la couleur politique, et incompréhensibles si l'on ne refait pas l'historique de situations toujours locales et chaque fois spécifiques. Ainsi en va-t-il de la réélection de Gilles Catoire à Clichy-La-Garenne.

Dans l'épisode précédent, celui des législatives, on avait vu comment Rémi Muzeau, en récompense pour son opération de nettoyage de la section UMP locale, avait été débarqué par le potentat de la circonscription, Patrick Balkany, au profit de Marie-Claire Restoux, ancienne championne, et nouvelle venue en politique. Rémi Muzeau, désormais indépendant et divers droite, après un échec prévisible aux législatives face à Patrick Balkany, se présentait donc aux municipales à la fois contre son adversaire de toujours, le socialiste Gilles Catoire, et contre la candidate officielle de l'UMP. On sait que, soit à cause d'un atterrissage douloureux, comme celui de Pierre Lellouche dans le VIIIème arrondissement de Paris, soit par la volonté forcenée d'un élu de mourir aux commandes, à l'image de Jean-Marie Rausch à Metz, cette division à droite a été fréquente, et garantissait une campagne active, et un choix démocratique puisque, pour une fois, celui-ci revenait aux électeurs et pas aux militants : les urnes trancheront, et que le meilleur gagne.
A Clichy, comme on le supposait, l'argent économisé aux législatives a été bien employé, et l'on a rarement constaté de telles dépenses depuis que, par l'inébranlable vertu du financement public, la modération est devenue, en la matière, la règle. Au premier tour, on a donc vu s'affronter les T-shirts blancs de la liste d'union de la gauche, élargie au point d'embrasser Lutte Ouvrière, les blousons bleus des partisans de Rémi Muzeau, les écharpes orange de la très active section locale du MoDem autour de Stéphane Cochepain, et même les Radicaux de Gauche à bicyclette, dans leur traditionnelle manifestation d'indépendance avant la fusion obligatoire avec la liste de Gilles Catoire. Chez Marie-Claire Restoux, en dehors d'une brève apparition sur les marchés, la discrétion était de mise. Aussi n'y eut-il guère de surprise au soir du premier tour, les électeurs de droite, qui ne le sont pas pour rien, préférant le candidat indépendant qui conquit ainsi une fort honorable deuxième place, à l'investie du baron de l'UMP réélu dans un fauteuil en sa bonne ville de Levallois. Le MRG rejoignant la gauche unie, le MoDem, malgré ses 11 % au premier tour, fusionnant avec la liste Muzeau, il ne restait à la candidate officielle de l'UMP, avec ses 14,3 %, qu'à accepter le verdict des urnes, faire de même, et préserver les très maigres chances du seul candidat de droite en mesure de battre le maire sortant socialiste au second tour.

Mais dans les quartiers nord des Hauts-de-Seine comme, sans doute, dans bien d 'autres endroits en France, c'est au sommet qu'on décide. Pas question pour Patrick Balkany d'accepter la dissidence, et de tolérer un rebelle dans la ville voisine, a fortiori s'il révèle une détestable tendance à jouer les M. Propre. Il valait mieux, à tout prendre, la laisser aux mains d'un adversaire politique avec lequel aucune surprise n'est à craindre, depuis le temps qu'on se connaît. Le maintien de Marie-Claire Restoux, dont le score descendit à 8,5 %, et le nombre de voix tomba de 2 268 à 1 375, suffit à verrouiller l'élection, et à assurer le triomphe sans gloire et sans éclat d'un Gilles Catoire qui ne réussit à réunir que 50,92 % des suffrages. Marie-Claire Restoux sauvait ainsi un siège à un conseil municipal où elle se retrouvera face à Lutte Ouvrière, et aux côtés d'un dissident appartenant à sa famille politique, avec lequel les relations seront sûrement des plus cordiales ; nul doute qu'elle ne retrouve ainsi cette ambiance sportive qui doit lui manquer. Mais cette victoire-là, les électeurs de droite ne sont sans doute pas près de la lui pardonner, et l'on prend le pari que sa carrière politique ne la mènera pas beaucoup plus loin ou, du moins, pas ici.
L'ordre des baronnies et le partage des circonscriptions règne donc toujours dans les Hauts-de-Seine, au point que l'on se demande ce que Manuel Aeschlimann, assez largement battu à Asnières, a bien pu faire de tellement catastrophique pour se trouver ainsi congédié. Dans ces fiefs à domination familiale et, parfois, à transmission héréditaire, on reste en poste à tout prix, et jusqu'au bout. On conseillerait bien à ces élus de ne pas suivre l'exemple de Jean-Marie Rauch, et de s'inspirer plutôt de la sagesse d'un Léopold Ritondale, maire de Hyères-les-Palmiers depuis 1983 et qui, à l'âge vénérable de 86 ans, avait décidé de laisser sa place aux jeunes. Hélas pour lui, il n'aura pas le temps de profiter d'une retraite paisible : deux semaines avant le premier tour, l'imputrescible Ritondale est mort à la tâche.