C'est Celui qui l'a repéré le premier : en direct de Bandol, par un jour de grand vent, Rudy Ricciotti lance avec sa virulence coutumière une croisade contre la HQE, alias Haute Qualité Environnementale, cette sorte de médaille que l'on accroche désormais sur la façade des édifices vertueux, respectueux de l'environnement, du développement durable, de la planète, des matériaux naturels et des générations futures. Ce label n'a pourtant rien d'obligatoire, et, au premier abord, ne semble pas exagérément contraignant : même si la procédure est désormais normalisée par l'AFNOR, et certifiée par la filiale ad hoc du CSTB, on peut construire HQE avec des murs en béton, des fenêtres en PVC et des isolants en laine de verre. Alors, pourquoi une telle sortie de la part d'un architecte qui, il est vrai, est coutumier du fait ?
On trouve peut-être un début de réponse avec la brochure dans laquelle le certificateur, Certivéa, présente la démarche. Voilà déjà quelques années que les grandes entreprises, ces pécheresses sans espoir de salut, cherchent, à force de rapports environnementaux, de soutiens à l'activisme écologique, de donations aux bonnes oeuvres, à faire oublier un passé, et un passif, souvent assez pesant. Elles utilisent pour cela les ressources de leurs services de communication, qui savent si bien raconter des histoires édifiantes illustrées de jolies photos : mais, dans le genre, dans l'accumulation des clichés, des témoignages émouvants de héros positifs de l'isolation thermique, des récits de combats implacables contre la déperdition calorique, personne ne fait aussi bien que Certivéa, qui présente par ailleurs une collection hétéroclite de bâtiments certifiés HQE, dont certains sont d'une excellente qualité esthétique, tandis que d'autres, et les immeubles de bureaux en particulier, rejoignent sans états d'âme l'accablant tout-venant de la production de série.

Car le problème, en fait, n'est pas tant la norme, que la raison pour laquelle on s'y conforme. Au moins du côté des maîtres d'oeuvre, on ne construit pas HQE seulement pour obtenir un label qui sanctionne un authentique progrès dans les performances d'un bâtiment : on construit HQE pour que ça se sache, et que ça se voie. Voilà pourquoi un véritable stéréotype de la construction HQE commence à voir le jour, avec un maître d'oeuvre public, une destination scolaire, un recours aussi poussé que possible au bois, comme élément structurel aussi bien que comme revêtement, une ventilation naturelle, et l'indispensable quota de cellules photovoltaïques : construit dans les Vosges par Architecture Studio, comme le signale cette toiture proéminente caractéristique de nombre des réalisations de l'agence, le collège Guy Dolmaire répondrait parfaitement à ce cahier des charges, si ses concepteurs avaient aussi cédé à la mode de la photopile ; question de budget, peut-être, ou, plus simplement, de bon sens, ils ne l'ont pas fait.
C'est qu'il n'existe, pour l'heure, et sans doute encore pour quelques années, voire une ou deux décennies, pas de moyen plus ruineux de produire de l'électricité qu'en captant les photons du soleil. Cette technologie qui se justifie pleinement dans les communautés isolées de pays en développement, où elle éprouve pourtant, à cause du coût de l'investissement, des difficultés à s'imposer, n'a rien à faire dans les zones urbaines des pays développés, zones par ailleurs souvent bien moins pourvues en matière de rayonnement solaire. Elle découle donc de l'effet d'aubaine que produisent les généreux tarifs de rachat imposés à EDF, et permet ainsi de se donner bonne conscience à d'autant meilleur compte que c'est la collectivité qui paye. Alors, il serait d'autant plus stupide de s'en priver dans sa construction HQE que les photopiles permettent, en plus, de s'assurer les faveurs des autorités, du public, et de la presse : on trouvera un merveilleux exemple de ce genre d'attitude avec l'hôtel Ibis de Clichy, dont les garde-corps à la finalité obscure, puisque la construction est dépourvue de balcons, sont ornés de 75 m² de panneaux photovoltaïques. Evidemment, du seul fait de les placer verticalement, on perd d'un coup environ 30 % de leur potentiel énergétique ; mais disposés comme ça, de la rue, on les voit quand même beaucoup mieux.

Voilà donc ce qui échauffe tant Rudy : l'éphémère, la mode, le futile et, donc, l'éphémère. Sans doute est-il fort gratifiant, et très valorisant, de construire en bois, cette matière si naturelle et si chaleureuse : mais dans quel état sera-t-elle dans vingt ans, après dix-neuf ans d'entretien négligé à cause de son coût prohibitif ? La vidéo de Rudy diffusée sur le site du Moniteur n'a, en fait, pas été réalisée pour le magazine : elle fait partie d'un ensemble d'interventions recueillies à l'occasion d'une exposition que le Pavillon de l'Arsenal, la vitrine de la politique architecturale de la municipalité parisienne, consacre, sans craindre le pléonasme, à l'architecture durable. À côté d'un Rudy Ricciotti, Christian de Portzemparc comme Jean Nouvel, avec la retenue qui convient à leur stature internationale, expriment des préoccupations similaires. Le bâtiment le plus durable, comme le dit Jean Nouvel, sera celui qui possèdera la plus grande inertie, donc les murs les plus épais, et les ouvertures, sources de déperditions caloriques, les plus réduites : la construction écolo idéale, en somme, c'est le bunker. Alors, construisons HQE, d'accord, mais construisons en béton.