Même dans ce calme trompeur qui ces jours-ci succède à la tempête boursière, la performance réalisée la semaine dernière par le Bovespa paraît irréelle. En une seule journée, la dernière du mois d'avril, l'indice des valeurs de la bourse de Sao Paulo a en effet progressé de 6,3 %, franchissant pour la première fois de son histoire le seuil des 70 000 points. En première analyse, le mouvement semble inexplicable. Les variations quotidiennes sont en général d'autant plus brutales que la taille du marché est réduite ; de plus, le plus souvent, l'amplitude à la baisse est bien plus forte qu'à la hausse, et génératrice de ces dépressions brutales et circulaires universellement connues sous l'appellation de crashs boursiers. Rien de tel ici, le géant brésilien disposant de la seconde capitalisation boursière de tout le continent américain, nord compris ; évidemment, même s'il est devant le Mexique, il est toujours loin des États-Unis. Il fallait, en fait, attendre l'édition des Echos du week-end pour comprendre : Standard & Poor's, une des plus célèbres agences de notation, ces sociétés dont l'activité principale consiste à évaluer la capacité d'une entité, État ou entreprise, à rembourser ses dettes, donc à estimer le risque pris en lui prêtant son bon argent, a relevé la note de la dette brésilienne souscrite en monnaie étrangère de BB+ à BBB-. Énoncé comme ça, c'est tout sauf spectaculaire, d'autant que le chemin reste bien long jusqu'au paradis, le triple A des pays les plus fiables. Il n'empêche : par ce simple signe, le Brésil abandonne l'enfer, et entre au purgatoire des pays à "investissement non spéculatif". La première conséquence est aussi mécanique que financière : les gérants des fonds dont les contraintes réglementaires leurs interdisent les pays à risque pourront désormais investir au Brésil. Le flux de capitaux potentiels qui s'abattrait alors sur les sociétés brésiliennes suffit à expliquer la performance du Bovespa. La seconde conséquence, sur le plan politique, mérite que l'on s'y attarde un peu.

Car les courtes réactions que l'on peut lire ici et là, dans les Echos ou dans l'IHT, de la bouche de Luis Inacio da Silva ou de son ministre de l'Économie, Guido Mantega, célèbrent le retour de l'honneur perdu. Leur discours n'a rien de technique, ni d'économique ; le ministre des finances se réjouit de l'entrée du Brésil dans le club des nations les plus respectées, alors que le président, plus émotif, évoquant une conquête du peuple brésilien que celui-ci attendait depuis de nombreuses années, déclare, selon les Echos pour lesquels il faut voir là l'infirmation d'un jugement attribué à Charles de Gaulle, que "le Brésil est maintenant considéré comme un pays sérieux".
Au désespoir des âmes compliquées, le capitalisme reste tragiquement simple : c'est juste une histoire de rémunération du risque. On accepte de se priver momentanément de ces quelques économies épargnées sou par sou en les prêtant à un inconnu, ou en participant au capital d'une société anonyme parce que l'on est convaincu d'avoir affaire à des gars sérieux, qui rembourseront leur dette au jour dit et avec intérêts, ou serviront ces dividendes dont on peut même accepter d'être privé pendant quelques années, à condition que la croissance de la société le justifie. Et on est prêt à prendre un risque, à condition de disposer, grâce par exemple aux agences de notations, des moyens de l'évaluer au mieux. Et c'est tout : apatride et intemporel, le capitalisme se moque bien de distinguer le blanc du noir. Voilà pourquoi, à l'inverse de ces modes d'assistance qui, parce qu'ils s'adressent à ceux dont on a décidé qu'ils ne pouvaient pas s'en sortir seuls, dévalorisent de bien des façons ceux qu'ils prétendent aider, le capitalisme qui réussit permet de retrouver sa dignité. Le goût de la revanche est d'autant plus doux qu'elle est acquise selon les critères des donneurs de leçons, et au moment précis où ceux-ci se montrent bien incapables d'appliquer à leur propre compte les remèdes qu'ils prescrivent si volontiers aux autres. Ainsi en a-t-il été de l'Espagne, cet autre pays latin, cet autre royaume du préjugé et du stéréotype, que le vertueux citoyen allemand qualifiait de membre du "Club Med", et avec lequel il était hors de question de faire monnaie commune lors de la création de l'Euro en abandonnant son fier DM. Presque dix ans plus tard, l'excédent budgétaire accumulé en Espagne, la dette publique qui ne représente plus que 36 % du PIB, contre 65 % en Allemagne, permet au pays du flamenco et de la corrida d'emprunter sur les marchés financiers à des taux inférieurs à ceux que l'on accorde au champion de l'acier et de la machine-outils, lequel présente désormais un risque supérieur. Il en va de même avec le Brésil, objet d'un mépris comparable de la part de ce vieux pays tellement apte à prodiguer ici et là ces jugements définitifs. En plus, on doit avoir l'honnêteté de l'avouer, la réussite du Brésil offre un plaisir égoïste et particulier, cette mesquine vanité d'avoir eu raison.