Si chaque niche a son chien, chaque taxe a son cochon, et les grognements d'agonie du pourceau qu'on égorge retentissent bien plus fort, et s'entendent de bien plus loin, que les jappements discrets des gardiens de niches fiscales auxquels il suffit, d'ordinaire, de montrer les crocs pour obtenir satisfaction. Ces jours-ci, à l'Assemblée, au Quai d'Orsay et dans les couloirs de l'organisation patronale menacée, on assiste donc à une représentation de la comédie fiscale dans son interprétation tragique, puisque l'Assemblée a voté une hausse vertigineuse d’une taxe bien modeste à l'origine, celle dont doit s'acquitter, pour chaque nuitée, chaque client d'un hôtel au moment du départ. Avec, capitale oblige, deux euros de plus supposés financer les transports en commun d'Île de France, on arrive à un chiffre rond, dix euros pour chaque onéreuse et romantique nuit passée dans la capitale avant d'aller faire la queue avec les autres pour admirer la Joconde, dix euros aussi pour, coincé dans un hôtel de Roissy, attendre une correspondance qui n'arrive pas comme prévu.

Le combat en lui-même ne manque pas d'intérêt. Certes, députés comme hôteliers font, ce qui n'étonne guère, assaut de mauvaise foi. La taxe proposée dépend, semble-t-il, de la catégorie de l'hôtel : 5 euros pour un trois étoiles, 8 pour les quatre et cinq étoiles et, on l'imagine, pas ou peu de changement pour les établissements plus modestes, une modularité que les antagonistes s'empressent d'oublier puisque, là où les hôteliers s'indignent d’une hausse uniforme de 500 %, les députés frondeurs prennent en exemple les poches en effet profondes des clients du Crillon, tout en exonérant les habitués du Formule 1. Il n'empêche : à Paris, une nuit dans un trois étoiles pourrait être taxée à hauteur de 7 euros. Or, si la taxe est fixe et journalière, les tarifs, en fonction de la période de l'année, de la durée de séjour, des conditions de réservation, des remises éventuelles, sont infiniment variables. Il se pourrait donc que ce prélèvement, soigneusement séparé du coût de la prestation globale, atteigne presque 10 % de celle-ci et prenne alors l'allure d'une de ces mauvaises nouvelles dont on se souvient d'autant mieux qu'on les apprend au dernier moment, ici, celui du départ. C'est ainsi qu'on construit des réputations.
Voilà quelques années, deux économistes ont rendu au Conseil d'analyse économique un rapport qui, tout entier consacré à le recherche de moyens optimaux pour valoriser la grande culture nationale ou, en d'autres termes, pour faire raquer le touriste, proposait, parmi d'autres mesures telles le doublement du prix d'entrée dans les musées pour les visiteurs extra-communautaires, d'augmenter cette taxe de séjour, citant un montant de l'ordre de 6 % du prix de la chambre. Or, un tel raisonnement repose sur un pari, puisqu'il s'agit de fixer un niveau plus rémunérateur sans pour autant décourager la consommation, et ne tient sans doute pas assez compte d'un certain nombre de paramètres, et en particulier, de la concurrence. Il oublie que les acteurs sont rationnels lorsqu'ils sont près de leurs sous, et que le touriste de masse en provenance des pays émergents appartient à cette catégorie-là. Il oublie que les propriétés sans égal de la géographie française ne s'expriment pas à l'identique dans toutes ses dimensions, ou plus exactement que si la géographie, celle qui contraint à traverser la France pour relier par la route Barcelone à Hambourg et Turin à Londres, reste incontournable, l'histoire affronte de sérieux concurrents, et que les piécettes lancées dans la fontaine de Trevi forment un capital symbolique autrement plus légitime, valorisable, et valorisé, que les tous récents cadenas de la passerelle des Arts dont on cherche déjà à se débarrasser.

Gardien-chef de ce parc à thème qui représente presque 10 % de la richesse nationale, Laurent Fabius s'oppose vigoureusement à cette initiative lancée par les députés de son camp, à la fois pour des raisons stratégiques, puisque ses effets sur la fréquentation touristique ne sauraient être que négatifs, et pour des considérations de tactique politique, les frondeurs passant à l'action alors qu'une mission parlementaire précisément consacrée à la fiscalité du tourisme doit rendre, dans peu de temps, ses conclusions. Aussi, en dehors d'une manifestation supplémentaire des petits soucis de discipline que connaît l'actuelle majorité, l'histoire offre-t-elle un aperçu intéressant de la manière dont certains membres de la représentation socialiste conçoivent le monde économique, et son fonctionnement. Dans cet univers, le choix n'existe pas, l'acteur, le touriste en l'occurrence, prisonnier d'une offre sans équivalent, devient, un peu comme un abonné aux sorties des comités d'entreprises, un actif fixe, que l'on peut alors taxer sans modération. Risqué par lui-même, ce raisonnement devient dangereux lorsque l'on y ajoute cette masse de paramètres, la concurrence, la réputation, les difficultés d'accès, qui, tous ensemble, incitent à passer plus de temps à Londres ou Rome, et moins à Paris. Mais pour la représentation nationale, en fait, le monde est simple, et la solution aux problèmes qu'il suscite élémentaire : il suffit d'un vote, et, disciplinée, servile, la Chine paiera.