Qui perd quoi à la démission de Nicolas Hulot, troisième personnage du gouvernement, lequel abandonne brutalement un poste que, dans un lapsus révélateur, Arte qualifie de ministère de la transition énergétique ? Dans le champ journalistique, incontestablement, les dégâts sont énormes. On pleure, littéralement, la perte d'un collègue qui, certes sans vraiment le vouloir, avait accédé à de si hautes fonctions et était resté, jusqu'à l'ultime moment, un si bon client, lui qui a su organiser sa sortie de la meilleure manière, répandant à l'envi son sentimentalisme narcissique. À l'inverse, le champ politique profite sans vergogne de l'aubaine, assaillant de tous côtés ce pouvoir central auquel échappe, et de la pire manière, celui que l'on qualifiait lors de sa nomination de prise de guerre, et qui ruine d'un coup tous les investissements placés sur sa personne. Mais la politique environnementale, elle, pourrait en sortir fortifiée, pour peu qu'elle s'attache au problème urgent, le réchauffement climatique, en se passant des bons sentiments, des déclarations solennelles, des engagements irréfragables à tenir dans quarante ans, en faisant abstraction des visions d'apocalypse, en considérant que des solutions pragmatiques et accessibles, et souvent déjà mises en œuvre depuis des dizaines d'années, permettent, sans drame, sans bouleversement, d'améliorer les choses.

Aussi laissera-t-on à leur enthousiasme funèbre les passionnés d'eschatologie, pour se contenter de quelques remarques prosaïques, qui ont trait au fait principal, la dé-carbonisation de l'énergie et, plus modestement, de l'électricité. Celles-ci auront le double défaut de s'appuyer sur des données chiffrées, et d'évoquer des réalités désagréables. On s'intéressera d'abord à la place de la France, seul pays sur lequel le gouvernement dispose de moyens d'action effectifs, dans l'univers des émissions de gaz à effet de serre, univers que l'on a pris l'habitude de réduire à son composant principal, le dioxyde de carbone. L’échelle planétaire reste par ailleurs la seule pertinente puisque, si l'atmosphère a des limites, elle n'a pas de frontières.
On dispose pour cela de statistiques fournies par la Banque mondiale, qui détaillent pays par pays et pour deux années, en l'espèce 1960 et 2014, les émissions de CO2 par habitant. Avec 4,6 tonnes, un chiffre inférieur de 20 % à celui de 1960, la France fait preuve d'une vertu exemplaire, et qui le devient d'autant plus en comparaison avec, au hasard, la Chine. En 2014, un Chinois émettait 7,5 tonnes de CO2, bien plus, donc qu'un Français. On le rappellera, la population française compte aujourd'hui 65 millions de personnes, la Chine, 1,4 milliard. Logiquement, en peu d'années, ce pays est devenu le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, alors que la France ne représente même plus 1 % du total de ces émissions.
Aussi, quand bien même on ne sait quel sortilège permettrait à notre pays de ne plus générer de CO2, cette performance, à la seule échelle pertinente, celle de la planète, ne serait même pas mesurable. Pour le dire autrement, l'objectif de dé-carbonisation de la production d'électricité a déjà été atteint, et depuis bien longtemps, avec la transition énergétique qui a vu le remplacement du charbon par l'électro-nucléaire.

Mais ce remède, on le sait, c'est le mal. En choisissant si tôt une solution efficace la France, en quelque sorte, n'a pas joué le jeu, puisque la bonne manière de faire se rencontre sur l'autre rive du Rhin, où un pays modèle, en dépit des 8,9 tonnes de CO2 qu'émettent chacun de ses habitants, a investi des sommes folles pour soutirer son électricité au vent et au soleil, tout en réduisant jusqu'au néant son emploi de l'uranium. Mesurables heure par heure sur un site de l'institut Fraunhofer, les résultats de cette politique ne paraissent pourtant guère concluants. En sélectionnant les bonnes options, on obtient un graphique qui permet, sur une période choisie, d'afficher les sources d'énergie que l'on désire : ainsi peut-on comparer, sur un mois d'été, le vent et l'uranium. Moins que l'habituelle opposition entre l'aléa éolien et la régularité nucléaire, ce graphique montre que, en juillet dernier, l'Allemagne a tiré plus d'électricité de ses réacteurs nucléaires résiduels que de ses investissements éoliens. Avec une puissance installée de l'ordre de 9,5 GW, le facteur de charge du nucléaire, utilisé au maximum de ses possibilités durant tout l'été, a souvent dépassé les 90 % ; les 75 GW d'éolien n'ont pas souvent fonctionné à plus de 10 % de leurs capacités.
Au demeurant, la consommation allemande d'électricité nucléaire de s'arrête pas là : par pure méchanceté, on signalera cet autre graphique, qui détaille les échanges de courant entre l'Allemagne et ses voisins. En ne gardant que ce joli bleu turquoise qui symbolise la France, on prendra la pleine mesure de la dépendance allemande à l'égard de l'électronucléaire national. Certes, l'été a été exceptionnel ; mais la défaillance de l'éolien ne s'est pas manifestée sur quelques heures, voire quelques jours, mais bien sur un trimestre entier. Et il a bien fallu la compenser de toutes les manières possibles, avec, entre autres, un recours continu au nucléaire lequel, en négatif, donne l'idée du chemin à parcourir pour qu'un pays qui a décidé d'en sortir parvienne effectivement à s'en passer. On prendra alors un parti courageux, voir téméraire, celui de parier que l'Allemagne, in fine, ne renoncera pas à l'électronucléaire. Et réussir enfin à imposer un vrai prix pour ce foutu carbone l'aiderait sûrement à retrouver le chemin de la raison.

La démission de Nicolas Hulot ne vaut que comme rappel utile de ce à quoi se réduit, sous nos latitudes, l’écologie de sens commun, celle que pratiquent les non-spécialistes, politiques et citoyens, corpus figé de doctrines simplistes à la polarité binaire, agenda imposé par des militants dont le combat contre le monde moderne a connu un succès d'autant plus grand qu'il promet, à défaut de paradis, un monde assemblé de bric et de broc, un peu d'archaïsme ici, de l'ésotérisme là, des choses simples et faciles à comprendre, la nostalgie de ces années évanouies où la France comptait encore, mais un monde idéal accessible, connu, proche et rassurant. Que ce fatras à la cohérence artificielle succombe aux contraintes du réel est inévitable ; et que la politique environnementale abandonne ces chimères au profit de l'action rationnelle serait aussi positif que surprenant.