Parfois, quelques simples lignes extraites du fil d'actualités de l'AFP et coincées entre les dernières nouvelles de l'activité incessante du terrorisme international et le record du monde du prix du melon recouvrent un trésor. La réponse que le Conseil Constitutionnel vient de donner à une question prioritaire de constitutionnalité, maigre filon en apparence, se métamorphose vite, si l'on se donne la peine de reconstituer l'histoire et de s'interroger sur ses significations, en mine d'or. Et si, plus vif que l'éclair, le grand spécialiste de la QPC a déjà documenté les aspects purement juridiques de la question, il laisse dans l'ombre un riche matériau qui, ramené à la lumière, projette un éclairage brutal à la fois sur une certaine manière de gouverner le pays, et sur les voies extraordinairement tortueuses que doivent emprunter ceux qui cherchent à s'en défendre. On trouvera là, de plus, une merveilleuse occasion de mesurer une fois encore la bêtise verte en action, le genre de plaisir, on le sait, dont l'infinie variété comme la perpétuelle nouveauté font qu'on ne s'en lassera jamais.

L'histoire commence avec le Grenelle de l'environnement, cette grande fête de la révolution verte qui devait ouvrir une ère nouvelle en bouleversant les méthodes de collecte des déchets et la façon de se déplacer sur une distance de deux kilomètres. Un décret, au milieu de cette production règlementaire d’une importance primordiale, a imposé des quotas d'utilisation du bois dans les constructions nouvelles. Le Moniteur fournit à la fois le texte du décret en question, publié en 2010 et signé donc, entre autres, par François Fillon, Jean-Louis Borloo et Chantal Jouanno, et le détail de son application. On le constate, sauf rares exceptions dont le coupable devra se justifier auprès de l'administration, tous les maîtres d’œuvre seront tenus d'incorporer un quota de bois, calculé en décimètres cubes par mètre carré de surface habitable, dans leurs nouveaux projets. Et pas question de tricher : les petits malins qui utilisaient déjà le bois dans l'un de ses usages habituels, les charpentes en particulier, ne s'en tireront pas à si bon compte, et se verront imposer des quotas supérieurs à ceux des purs bétonneurs.
On a beau en avoir l'habitude, on ne peut manquer d'être impressionné par la formidable accumulation d'ignorance volontaire, de mépris du réel, de servile soumission à la dernière idée en vogue, de croyance en l'efficacité du gouvernement par les normes qui se cache sous ces quelques lignes. Pour avoir, dans d'autres circonstances, eu accès aux notes produites par les conseillers techniques des cabinets ministériels et des administrations centrales, et aux conseillers eux-mêmes, on ne peut douter qu'ils aient, là aussi, fait leur travail, et mis en garde les responsables contre les conséquences aussi nombreuses qu'ineptes de leurs décisions. Pourtant, si le bois, jadis matériau de construction unique dans bien des villes, ne sert plus guère que pour les charpentes et les planchers, ce n'est pas à cause de la toute-puissance des Bouygues, Vinci, et autres Lafarge. Et ce n'est pas un hasard si l'essentiel des références actuelles en matière de construction en bois pointent vers un micro-spécialiste comme Le Toit Vosgien, ou vers tel HLM urbain qui permettra de loger généreusement trois familles. Limité à cause de sa faible résistance à des ouvrages de taille modeste, le bois impose, pour lui assurer une certaine durabilité, un entretien constant qui n'est guère dans les habitudes de bien des maîtres d'ouvrage, les bailleurs sociaux en particulier. Et quelles que soit la rigueur des normes auquel il est soumis, il restera toujours bien plus inflammable qu'un immeuble en béton. Le toit en lamellé-collé de la piscine du campus de Saint Martin d'Hères faisait la fierté des indigènes : mais en 1985, il a brûlé, et la piscine avec. C'est une chose de construire, ici et là, ces maisons, écoles, logements, villages Potemkine qui feront la une du journal municipal, et gagneront l'une ou l'autre de ces médailles en carton qui leurs sont réservés ; c'en est une tout autre d'imposer ces principes au secteur du bâtiment dans son ensemble, secteur que l'on gouverne par décret et duquel on n'hésite pas à exiger, du jour au lendemain, qu'il respecte des quotas multipliés par dix, et d'imaginer donc que le bois puisse jouer un rôle essentiel ne serait-ce que dans les quelques centaines de milliers de logement que le pays construit chaque année.

On aurait aimé, ici, lire la réaction d'un Rudy Ricciotti, ce grand bâtisseur en béton qui aurait sûrement, à sa manière inimitable, su tirer le portrait de ces élus et fonctionnaires qui lui imposent, simplement, de construire d'une certaine manière en rendant obligatoire l'utilisation de matériaux déterminés. Il faudra, à la place, suivre les méandres du recours présenté par le lobby du béton et qui a ricoché du Conseil d’État au Conseil Constitutionnel, conduisant donc les plus hautes juridictions à se prononcer sur la constitutionnalité de l'emploi de décimètres cubes de bois, et jugeant celui-ci illégal en fonction, tout simplement, de la Déclaration des droits de 1789. On ne peut que suivre Samuel dans sa conclusion, et imaginer toutes les conséquences de cette décision sur la production des règlements si chers à l'administration nationale. Mais on reste interdit devant l'importance que prend, de plus en plus, cette question prioritaire de constitutionnalité devenue planche de salut pour les causes désespérées, alors que quelques échanges de courrier, une ouverture à des positions contradictoires, un arbitrage de bon sens, le fonctionnement normal, en somme, d'un pays correctement administré, devraient largement suffire à régler les questions de cet ordre.