Décidément, il n'y a plus de saisons. Il fut un temps où le mois d'août ne connaissait d'autres cyclones que tropicaux, tempêtes durant lesquelles seules comptaient les conséquences de ceux-ci sur la production d'hydrocarbures dans le golfe du Mexique et, donc, sur les cours du pétrole. Après des mois de dur labeur et de risques inconsidérés, traders, boursiers et politiques, aux premiers jours du mois, liquidaient leurs positions avant de prendre, l'âme en paix, leurs quartiers d'été. Désormais, la méchanceté des temps ne laisse de répit à personne : elle en rajoute même, cumulant, en ce mois de détente, deux crises indirectement liées, une brutale tempête boursière, et un lent effondrement des finances publiques dans quantité de pays développés. Une situation qui possède, de plus, une certaine ironie.

Quand la crise immobilière et financière a frappé les États-Unis d'abord, puis le monde entier à l'automne 2008, les bonnes âmes se sont acharnées à démolir l'ambulance d'un capitalisme donné pour mort : ces marchés tout-puissants dont les laudateurs soutenaient qu'il fallait les laisser se gouverner comme bon leur semble venaient de démontrer de la manière la plus éclatante qu'une telle liberté ne pouvait conduire qu'à la catastrophe. Les marchés ne sont rien sans régulation, et ne pouvaient sortir du tunnel dans lequel leur rapacité les avaient enfermés sans le secours de l’État. C'était le temps des plans de sauvetage avec leurs centaines de milliards de dollars, le temps, aussi, de la faillite de Lehman Brothers. Et les bonnes âmes de s'offusquer des sommes colossales ainsi englouties dans la préservation d'un système honni, au lieu de secourir ceux qui en avaient vraiment besoin, ces ménages endettés expulsés d'une maison dont ils ne pouvaient plus rembourser les traites.
Trois ans plus tard, on peut dresser un premier bilan de ce Troubled assets relief program. Les prévisions initiales faisaient état de dépenses atteignant 700 milliards de dollars ; en réalité, le montant total des fonds publics mobilisés ne dépassera pas 400 milliards. Et, puisqu'aucune grande entreprise n'a disparu, et pas même General Motors, cette intervention, d'un seul point de vue financier, et grâce au marché, se révélera un excellent investissement. General Motors, nationalisé de fait, sera remise sur le marché, et ses actions trouveront suffisamment d'acquéreurs intéressés par une entreprise qui ne distribuera pas de dividende avant que l'État ne se soit totalement désengagé pour que celui-ci réduise considérablement sa participation. Pour l'heure, on estime le coût final du programme à 20 milliards de dollars, soit 5 % du montant investi. Il se pourrait bien, en d'autres termes, qu'il se révèle bénéficiaire. Tel était le cas, du moins, avant que n'arrive ce mois d'août meurtrier.

Car le politique est de retour, mais d'une manière assez éloignée de celle que l'on attendait. En dégradant la note de la dette des États-Unis, mettant ainsi à exécution une menace brandie depuis longtemps, Standard & Poor's accomplit un geste aussi spectaculaire qu'indéniablement politique. L'agence sanctionne en effet moins la situation très dégradée des finances publiques que le refus des élus de s'accorder sur la seule manière efficace de s'en sortir, solder les comptes des années Georges Bush. D'autres, tirés de leur torpeur estivale ou rentrés de vacances l'auront noté, la moitié de l'encours de la dette américaine est à porter au crédit du dernier président républicain, fanatique de l'engagement militaire et gros consommateur de cadeaux fiscaux. Refuser de traiter cette question, reporter sur ceux qui manquent déjà de ressources les économies nécessaires, c'est s'engager en toute conscience de cause sur le chemin de la dégradation.
Pourtant, réduire sa dette n'est pas forcément une affaire bien compliquée, à condition de prendre le temps de le faire. Sans bruit, sans drames, dans la zone Euro, la dette publique d'un pays sans État et dont tout le monde se moque a ainsi fortement baissé au cours des quinze dernières années. En 1995, la dette de la Belgique culminait à 130 % du PIB ; ensuite, avec une régularité suisse, d'année en année, elle a été graduellement réduite pour atteindre 84 % en 2007. Depuis, évidemment, la mauvaise fortune générale a inversé la tendance, sans pour autant conduire à une détérioration dramatique, puisque le pays reste noté AA+. En somme, les finances publiques seront d'autant mieux gérées que l’État fait défaut, et que les élus sont occupés à se disputer ailleurs.

Reste une dernière question, celle du choix de la date, et de cette dégradation dont l'effet sera amplifié par la correction boursière qui sévit sur les marchés mondiaux depuis quelques jours. Mettant brutalement le politique face à ses responsabilités, Standard & Poor's se place au fond dans un rôle opposé à celui joué par l’État, lorsqu'il abandonna Lehman à son triste sort en septembre 2008. La brutale révélation que tout le monde ne serait pas toujours sauvé, que le too big to fail pourrait faire défaut, pétrifia un secteur bancaire qui cessa instantanément de fonctionner, avec les conséquences dramatiques que l'on connaît, même si leur effet fut assez bref. Aujourd'hui, la note de Standard & Poor's sonne un peu comme un prêté pour un rendu ; pour l'heure, le moins que l'on puisse dire est que ses conséquences semblent bien moins négatives que le largage de Lehman.