En parcourant les blogs consacrés à la politique au sens commun du terme, on a trop souvent l'impression qu'ils se contentent, par facilité, par amateurisme, voire par militantisme, de commenter la couche superficielle d'un discours qu'ils tiennent dès lors comme légitime, ou, du moins, à lui seul, signifiant, sans percevoir l'utilité de mettre au jour les strates plus profondément enfouies de la géologie des partis, lesquelles détiennent pourtant des vérités autrement plus pertinentes. Prenons un exemple en apparence bien succint, et analysons l'appel au peuple de gauche pour que celui-ci mette son temps et ses compétences au service du Parti Socialiste et de la cause numérique, appel que l'on trouve dans cette version Beta, pardon, Web 2.0, qui préfigure son nouveau site.
Ecartons d'emblée, pour le bon déroulement de la démonstration, l'hypothèse d'une manoeuvre de diversion, attirant l'adversaire sur un secteur qu'il croit vulnérable alors qu'il est, en fait, très bien défendu. Car lancer un appel aux bonnes volontés et entamer une campagne pour recruter des compétences en matière de web, de blogs, voire de formation informatique à six mois des élections, si c'est pas du pipeau, c'est un aveu, et même un aveu d'impuissance et d'impréparation, tant le temps semble compté pour organiser en partant de pas grand'chose une structure efficace et productive, qui devra aborder en ordre la prochaine bataille.

C'est que l'offre d'emploi bénévole couvre un large champ, et d'abord de compétences puisqu'il est fait appel à des infographistes pour réaliser des animations Flash, à des vidéastes pour des tournages, à des formateurs pour initier les militants aux joies du web participatif, à des documentalistes aussi pour, instruits par l'expérience, rechercher et archiver les éléments audiovisuels que l'on trouverait sur des sites officiels, tels l'INA, les blogs ou même, on l'imagine, dans le camp d'en face. Ceux qui ne possèderont pas le capital intellectuel nécessaire pourront puiser dans leur capital social, en spammant leur carnet d'adresses aussi bien qu'en violant la confidentialité de cette base de données personnelle pour la mettre au service du parti, et même les plus démunis, ou les moins complaisants, trouveront toujours à jouer les petites mains en causant sur les forums, ou au minimum en consacrant cinq pauvres minutes quotidiennes à une tâche qui ne leur demandera rien de plus : copier-coller l'argumentaire qui leur sera obligeamment fourni pour répondre à des sondages en ligne, faussant par là même la bien modeste validité que ceux-ci pourraient revendiquer, et les privant donc de toute forme d'intérêt. Une telle précision, un tel luxe de détails contiennent donc un autre aveu implicite, celui de la stratégie et des moyens que l'on compte employer pour mettre le numérique au service de la conquête du pouvoir.
Mais l'exploitation d'un aussi riche gisement ne s'arrête pas là, et continue avec une nouvelle couche, plus près du sol en quelque sorte, où l'on perçoit le souci, contradictoire, et révélateur des difficultés qu'une organisation statique, hiérachisée, historiquement constituée, éprouve face à l'anarchie protéiforme du web, de traduire ce nouveau monde numérique en des termes compréhensibles aux militants de sections, d'où ce découpage assez arbitraire de fonctions couvertes d'appellations rassurantes, "créateurs", "veilleurs", "bricoleurs" et même, dans un pathétique souci de recyclage comme de valorisation de l'emploi militant de base, "colleurs d'affiches du web". On devine là l'intervention directe des militants socialistes affranchis en nouvelles technologies, avec leur habitus marketing, et le produit d'une négociation avec leurs chefs pour obtenir qu'on complète un peu leurs effectifs, négociation qui se trouve au principe de cette campagne de recrutement. Il ne restait plus qu'à concevoir son emballage, un en-tête qui détaille les formules d'équivalence entre la traditionnelle action militante et sa traduction Web 2.0, et un pied-de-page qui rappelle à ceux qui conserveraient de mauvaises intentions qu'ils s'engagent au service de la seule candidate officielle du parti.

Au Parti Socialiste, pour s'en aviser si tard, on n'a donc prêté qu'une attention bien distraite aux blogueurs politiques, eux qui répètent pourtant depuis des mois combien les prochaines élections seront marquées par leur action, ressortant pour l'occasion l'ubiquitaire exemple américain auquel doit se référer et dont peut se contenter toute comparaison. Sans doute y conserve-t-on, sous la surface d'une marque d'attention bienveillante, peut-être avec l'idée rassurante qu'au pire ça ne fera pas de mal la certitude qu'elle ne se jouera pas là.