À l'origine, on trouve une centrale électrique. Bâtie au début du siècle dernier en bord de Seine, à Saint-Denis, à la limite avec Saint-Ouen, sur un terrain progressivement occupé par des constructions variées mais toutes liées à la production et à la distribution d’électricité, l'usine cessera son activité au début des années 1980. Vingt ans plus tard le vaisseau amiral du site, la grande halle des machines, deviendra la pièce maîtresse d'une cité du cinéma qui accueille plusieurs plateaux de tournage, et l'école Louis Lumière, laquelle forme les techniciens supérieurs du cinéma. Tout autour des bâtiments divers, hôtel, pavillons, locaux artisanaux. Un peu plus loin, au sud-ouest, à Saint-Ouen, une grande école d'ingénieurs en mécanique. Encore un peu plus loin, mais à moins de deux kilomètres, à l'est, le stade de France. Une ancienne zone industrielle, des terrains appartenant en partie à une entreprise publique, une position stratégique dans une banlieue en plein développement autour du hub de Pleyel : pas besoin d'aller chercher plus loin le site où implanter le village qui accueillera durant quelques mois les athlètes des Jeux Olympiques 2024.

On va donc construire là une zone d'aménagement concerté, alias ZAC, un peu spéciale, puisqu'elle ne se présente pas comme telle tout en respectant les usages du genre. Avec d'abord sa surface, significative avec ses 40 hectares, mais quand même relativement modeste. À titre de comparaison, sa voisine, la ZAC des docks de Saint-Ouen, occupera à terme 100 hectares là où la plus lointaine Clichy-Batignolles s'étend sur 54 hectares. Avec aussi l'inévitable pointure architecturale en charge du schéma d'ensemble, en l'espèce Dominique Perrault. Avec enfin les contraintes politiques et réglementaires propres à ce type d'exercice, qui se doit d'adhérer à toutes les exigences de vertu en cours. Mais à ce fonds commun s'ajoutent deux éléments spécifiques : une date de livraison impérative et qui ne peut souffrir d'aucun retard, et une obligation de bâtir du provisoire qui doit ensuite durer, mais sous une autre forme.

Autant dire que l'accumulation des contraintes ne peut que conduire à un résultat aussi prévisible qu'uniforme. Que ce soit rive droite, sur sa portion audonieno-dionysienne, ou au centre, avec cette partie de l'Île-Saint-Denis surplombée par le viaduc de l'autoroute A86, on retrouve les mêmes alignements de bâtiments, similaires par leur taille, leur orthogonalité, et leur structure. Car pour construire le village, le construire dans les temps, et pouvoir ensuite facilement transformer ces logements qui, au fond, appartiennent à un type particulier de cité universitaire, en appartement familiaux, on a massivement fait appel au mode de construction à la mode, le bois.
L'assemblage de modules en bois sur une structure généralement de la même essence produit une forme de canevas unique. Il appartiendra aux architectes de rompre cette uniformité en tentant de varier les façades. Bien qu'amateur d’architecture moderne et contemporaine, l'observateur objectif se doit de reconnaître que le résultat n'a rien de bouleversant.

Les détracteurs qui comparent le village olympique aux ZUP des années 1960 avec leurs logements sociaux édifiés au chemin de grue, où l'on se contentait d'empiler de façon linéaire des modules préfabriqués, avec l'idée que plus c'est haut, plus c'est long, moins c'est cher, tombent paradoxalement juste. Dans les deux cas, la construction s'effectue au moyen de modules produits en usine, aux dimensions semblables, avec des ouvertures identiques, mais, aussi, à l'intérieur de strictes contraintes budgétaires. On ne prend guère de risques en imaginant que ceux-là même qui reprochent un manque d'ambition à ce projet olympique, cet événement de portée mondiale, mais qui ne durera que quelques semaines, auraient férocement commenté le moindre dépassement budgétaire si d'aventure les maîtres d'ouvrage avaient visé plus haut, et plus fort. Et puis, cette monotonie inhérente au processus constructif, il faut s'attendre à la rencontrer de plus en plus souvent, puisqu'il n'existe pas d'autre moyen de diminuer le surcoût de la construction en bois, désormais obligatoire étalon de vertu.
Le village est éphémère : ce qui en restera dans un an, c'est un quartier urbain en Seine-Saint-Denis peuplé d'habitants qui ne feront pas qu'y passer. S'il doit être jugé, c'est à cette dimension, celle de la durée, et ce qui s'annonce n'est pas nécessairement glorieux. On va, à partir d'une image, s'intéresser au cas de l'Île-Saint-Denis. Seule la partie septentrionale du bâti relève du village olympique, le reste faisant partie d'un écoquartier existant. "Quartier sans voitures", celui-ci possède une seule rue, étroite, qui conduit au pont de Saint-Ouen, déjà totalement saturé. Principale porte de sortie, une passerelle piétonne vers Saint-Ouen, à un kilomètre des transports publics de Pleyel. Sur l'autre rive, juste en face, un centre commercial régional, inaccessible. Parions que, bientôt, pour rompre l'isolement du ghetto, une navette fluviale comblera les quelques dizaines de mètres qui séparent les bons sauvages de la civilisation consumériste.

Alors, pourquoi accabler le village de critiques, et de critiques mal placées puisqu'elles ignorent le plus souvent la question principale, celle de son avenir ? En partie sans doute en réaction aux commentaires dithyrambiques avec lesquels les autorités ont salué le projet lors de son inauguration, qui pimentent d'une pointe de grotesque un ensemble qui reste, dans toutes ses dimensions, modeste, et dont la principale qualité est d'avoir été fini à temps, ce qui, après tout, est l'essentiel.
Mais sans doute, aussi, parce que les critiques trouvent là le vecteur idéal pour faire part de leur détestation de l'architecture moderne, eux qui, sûrement, admirent la production d'un DGM, cabinet qui sévit aussi à Saint-Ouen avec ses écrasants pastiches haussmanniens ou pseudo Art Déco. Pourtant, loin du sempiternel rappel de la plus spectaculaire provocation de Le Corbusier, le plan Voisin, la vraie référence de cette architecture impériale, l'authentique incarnation du culte de la colonnade et du néo-classicisme, l'inévitable conclusion du refus de la modernité, c'est le Bucarest de Nicolae Ceaușescu.