Hyères-les-palmiers, dimanche d'août
La Toyota Yaris de mon copain Christian est munie d'un capteur qui
détecte la présence d'un passager. Tant que
celui-ci n'a
pas bouclé sa ceinture de sécurité, un
voyant
rouge reste allumé. Pour le conducteur, l'indicateur visuel
se
double d'une alarme sonore, de plus en plus pressante à
mesure
que le récalcitrant persiste à l'ignorer. On
imagine que,
lorsque l'enregistreur de bord sera obligatoire,
ces paramètres figureront parmi les
données
conservées. Il n'y aura alors plus guère
d'obstacle
technologique à les voir, via une liaison satellite,
alimenter un
système automatique d'infraction-sanction, dont le mouchard
ne
sera plus disposé au bord des routes, mais au coeur du
système électronique de sa voiture.
En Toyota, on va à la plage du Pradon,
à
Carqueiranne. La petite crique où se trouve, nous apprend le
site
municipal, la seule plage de sable de la commune, est
ceinturée
de bouées reliées par un filin. Ce dispositif,
situé à peine à 100 mètres
du rivage, bien
en deçà donc de la zone des 300 mètres
où
la baignade est autorisée, porte le nom de "grand
bain" et interdit l'accès aux embarcations. Dans
d'autres communes, plus peuplées, plus riches, à
Antibes,
sur la plage de mon enfance, à la Napoule, cette piscine
maritime est prisonnière, sur ses flancs, de deux
jetées
d'enrochements, et, au large, d'un chenal réservé
à la navigation. Le récalcitrant qui manifestera
l'intention de jouir de ce à quoi il a droit, les 300
mètres et rien de moins, en sera pour son caprice : la
sécurité d'un espace accessible au seul baigneur
et
efficacement surveillé peut bien être acquise au
détriment du nageur accompli, cette espèce par
ailleurs
si rare en cette saison sur ces rivages.
Sur la colline de Costebelle, le large sentier qui mène
à
la table d'orientation, et au mémorial de
l'aéronavale,
est barré d'un panneau en interdisant l'accès,
à
cause du risque d'incendie. L'endroit est plat, planté seulement de quelques
pins, sa
superficie faible, la broussaille inexistante, la
fréquentation
réduite. A quoi peut bien servir cette interdiction si
aisément contournée, sinon à
dégager la
responsabilité des autorités ?
Ce filet de sécurité qui enserre le citoyen dans ses mailles de plus en plus étroites, qui se développe lentement, pas à pas, au point qu'il faille prêter attention au plus infime détail pour mesurer son extension inexorable, qui, produit d'initiatives locales, conséquence d'une avancée technique qui permet de tisser un maillon supplémentaire, semble pourvu d'une force autonome, répond-il à une demande sociale ? C'est qu'il ne s'agit pas, ici, de défendre le citoyen contre une menace externe, donc d'assumer, en tant que pouvoir public, son rôle protecteur. Au contraire : ce sont les pouvoirs publics qui se protègent des citoyens, de leurs erreurs, de leurs défaillances et qui, dans une attitude sournoisement paternaliste, mettent alors en oeuvre, comme pour des enfants, les mesures nécessaires pour les empêcher de faire des bêtises. Il devient facile, alors, d'assimiler les obstinés, les récalcitrants, à des inconscients.
Sur la route des Loubes, deux véhicules d'intervention des pompiers sont stationnés sur le côté. Ils encadrent une Suzuki GSR 600 qui gît sur le flanc, sans paraître trop abîmée. Un peu plus loin, une vieille Volkswagen noire, sans doute partie prenante dans l'accident. Le casque du pilote et de sa passagère sont soigneusement posés à terre. Il sont vraisemblablement soignés dans l'un des véhicules. L'accident ne semble pas trop grave.
Commentaires
Bah, tant qu'on ne t'interdit pas de venir avec de l'eau bénite...
www.bertrandlemaire.com/d...
Tu fais dans le naratif maintenant ?
Je trouve que toutes ces limitations asceptisent un peu plus chaque jour le goût de la vie et prends une joie, à chaque fois moins fainte, à les outre-passer. Et puis, il y l'Autre. Tu sais, celui qui, alors que je me conforme avec crainte aux règlementations, les déchire et vient s'immisser de manière fort incongrue dans ma vie, souvent assez brutalement. Un cycliste sur un trottoir, ou pire, un livreur de pizaza. S'ensuit alors une conversation : Celui "Vous ne pourriez pas faire comme tout le monde ?" Autre : "On ne peut plus boire, plus fumer, et quoi encore demain ? On pourra même plus baiser"
Et ainsi d'hypocrisies en hypocrisies, le monde tourne.
"Il n'y aura alors plus guère d'obstacle technologique à les voir, via une liaison satellite, alimenter un système automatique d'infraction-sanction, dont le mouchard ne sera plus disposé au bord des routes, mais au coeur du système électronique de sa voiture"
En réalité, ce ne sera pas du satellite (oulah, cher), mais du GPRS. C'est même pas une blague, le petit bestiaux sur lequel j'ai bossé, ainsi que ses petits frères et soeurs, peut être (les autres l'étant même peut-être actuellement) embarqué dans une voiture pour "signaler les pannes en temps réel au constructeur" (suffit d'envoyer un SMS, on a droit à 140 caractères). Évidemment, il faut toujours partir d'une bonne excuse pour mettre en place le truc (et quand on a ni terroriste, ni pédophile, c'est pas grave, on trouve toujours autre chose dans la veine du "tout sécuritaire"), et puis "augmenter les features" au fur et à mesure.
Ça me fend le coeur que Toyota mette de l'électronique de merde dans ses autos, c'était le seul constructeur à tenir encore la route de ce côté, vraiment malheureux (faut acheter des Lotus, de toute façon).