La Toyota Yaris de mon copain Christian est munie d'un capteur qui détecte la présence d'un passager. Tant que celui-ci n'a pas bouclé sa ceinture de sécurité, un voyant rouge reste allumé. Pour le conducteur, l'indicateur visuel se double d'une alarme sonore, de plus en plus pressante à mesure que le récalcitrant persiste à l'ignorer. On imagine que, lorsque l'enregistreur de bord sera obligatoire, ces paramètres figureront parmi les données conservées. Il n'y aura alors plus guère d'obstacle technologique à les voir, via une liaison satellite, alimenter un système automatique d'infraction-sanction, dont le mouchard ne sera plus disposé au bord des routes, mais au coeur du système électronique de sa voiture.
En Toyota, on va à la plage du Pradon, à Carqueiranne. La petite crique où se trouve, nous apprend le site municipal, la seule plage de sable de la commune, est ceinturée de bouées reliées par un filin. Ce dispositif, situé à peine à 100 mètres du rivage, bien en deçà donc de la zone des 300 mètres où la baignade est autorisée, porte le nom de "grand bain" et interdit l'accès aux embarcations. Dans d'autres communes, plus peuplées, plus riches, à Antibes, sur la plage de mon enfance, à la Napoule, cette piscine maritime est prisonnière, sur ses flancs, de deux jetées d'enrochements, et, au large, d'un chenal réservé à la navigation. Le récalcitrant qui manifestera l'intention de jouir de ce à quoi il a droit, les 300 mètres et rien de moins, en sera pour son caprice : la sécurité d'un espace accessible au seul baigneur et efficacement surveillé peut bien être acquise au détriment du nageur accompli, cette espèce par ailleurs si rare en cette saison sur ces rivages.
Sur la colline de Costebelle, le large sentier qui mène à la table d'orientation, et au mémorial de l'aéronavale, est barré d'un panneau en interdisant l'accès, à cause du risque d'incendie. L'endroit est plat, planté seulement de quelques pins, sa superficie faible, la broussaille inexistante, la fréquentation réduite. A quoi peut bien servir cette interdiction si aisément contournée, sinon à dégager la responsabilité des autorités ?

Ce filet de sécurité qui enserre le citoyen dans ses mailles de plus en plus étroites, qui se développe lentement, pas à pas, au point qu'il faille prêter attention au plus infime détail pour mesurer son extension inexorable, qui, produit d'initiatives locales, conséquence d'une avancée technique qui permet de tisser un maillon supplémentaire, semble pourvu d'une force autonome, répond-il à une demande sociale ? C'est qu'il ne s'agit pas, ici, de défendre le citoyen contre une menace externe, donc d'assumer, en tant que pouvoir public, son rôle protecteur. Au contraire : ce sont les pouvoirs publics qui se protègent des citoyens, de leurs erreurs, de leurs défaillances et qui, dans une attitude sournoisement paternaliste, mettent alors en oeuvre, comme pour des enfants, les mesures nécessaires pour les empêcher de faire des bêtises. Il devient facile, alors, d'assimiler les obstinés, les récalcitrants, à des inconscients.

Sur la route des Loubes, deux véhicules d'intervention des pompiers sont stationnés sur le côté. Ils encadrent une Suzuki GSR 600 qui gît sur le flanc, sans paraître trop abîmée. Un peu plus loin, une vieille Volkswagen noire, sans doute partie prenante dans l'accident. Le casque du pilote et de sa passagère sont soigneusement posés à terre. Il sont vraisemblablement soignés dans l'un des véhicules. L'accident ne semble pas trop grave.