Dans l'univers monotone, planifié et tellement pauvre en inattendu de la vie politique contemporaine, l'intervention militaire au Mali a des allures providentielles. Contraints à agir dans la précipitation, l'État et ceux qui l'entourent se retrouvent ainsi dans la posture de Zeno lorsque, surpris par une question posée par un ancien amour, ce dernier n'a pas le temps d'inventer un mensonge, et se voit donc obligé d'être sincère. Bien sûr, l'émotion n'efface pas le métier du politique, lequel ressurgit au moment opportun. L'hommage présidentiel aux tirailleurs sénégalais maliens venus de leur plein gré défendre une patrie bien lointaine et fort peu maternelle prend ainsi d'assez larges libertés avec la réalité historique. Mais, tout comme un tremblement de terre dévoile brutalement et provisoirement la structure d'un bâtiment à moitié écroulé, la parenthèse malienne permet de jeter un bref coup d'œil sur certains des mécanismes de l'appareil du pouvoir. Certes, une analyse pertinente de ce qui se montre ainsi impliquerait de recourir à une armada de spécialistes. D'un autre côté, il serait proprement inhumain de résister à une aussi merveilleuse occasion de tenir des propos inconséquents, et de jouer les stratèges de comptoir.

Le portrait inédit de François Hollande en chef de guerre permet ainsi de s'interroger sur les capacité de la presse grand public à croire aux fictions qu'elle produit. Le président précédant, on s'en souvient, était affligé d'une tare qui lui valait des moqueries de cour de récréation et de vertigineuses dissections du complexe qu'elle était supposée entraîner chez lui, sa petite taille. La stature de François Hollande, pourtant, équivaut à celle de Nicolas Sarkozy ; mais personne ne relève ce fait. Le monde simple mû par des mécaniques élémentaires que la grande presse fabrique a besoin de conserver une armature de vraisemblance pour fonctionner, sous peine de se révéler pour ce qu'il est, une fiction. Le renouvellement constituant une des lois du genre il fallait donc, au nouveau président, trouver une nouvelle faiblesse, qui ouvre un chapitre inédit du vaste recueil des confidences, des révélations, des exclusivités, des secrets arrachés entre deux portes grâce auquel cette presse assure sa livraison hebdomadaire. De François Hollande, on donnera donc l'image de l'homme faible, dominé par les femmes, incapable de prendre une décision franche, l'opposé, en somme, de celle de son prédécesseur. Personne, évidemment, pour s'attacher au fait que cette légende a été construite par ceux qui avaient intérêt à l'écrire ainsi, ses concurrents politiques directs. Et personne pour rappeler que François Hollande a réussi là où ceux-ci ont échoué. Rien ne prouve, au demeurant, que son rôle dans l'affaire soit allé beaucoup plus loin que de laisser carte blanche à son état-major.

Il est sûr, en tout cas, que les responsables militaires ont bien vu l'occasion qui s'offrait à eux, et qu'ils ont décidé de jouer le coup à fond. Dans une opération de ce genre, l'armée française part en effet avec un nombre significatif d'avantages. Agir au Mali revient pour elle à la fois à se trouver en territoire connu, et ami, et à conduire une guerre qu'elle a déjà menée, dans des conditions physiques comparables, et avec un équipement souvent identique. Car on ne peut manquer de relever les similitudes entre le déroulement que l'on observe aujourd'hui au Mali et celui de l'intervention qui a eu lieu voilà plus de vingt ans, lors de l'invasion irakienne du Koweït, l'opération Daguet, avec toutefois une nette montée en grade puisque, avec Serval, on passe du cervidé au félin. Évidemment, au Mali, il a d'abord fallu agir dans l'urgence, avec des moyens qui n'étaient pas forcément les plus adaptés. Ensuite, le déploiement accéléré d'une surprenante quantité d'unités a permis, comme en Irak, une rapide reconquête d'un territoire peu ou pas défendu. Mais, à l'inverse de la première guerre du Golfe, il n'est pas dit qu'on en restera là.
Décision a ainsi été prise d'envoyer au front quelques dizaines de VBCI, le tout nouveau véhicule blindé de transport de troupes qui commence à équiper les unités de cavalerie ; et cette décision ne répond pas seulement à la volonté d'essayer un tout nouveau matériel dans des conditions pour lui inédites. Car cet engin n'a plus rien à voir avec les pauvres VAB que l'on voyait crapahuter lourdement dans les fossés afghans : bien plus lourd, bien mieux blindé et armé, monté sur huit roues il permet, avec les AMX 10RC récemment rénovés, de constituer des unités aptes à lancer des attaques rapides et lointaines, dans la profondeur du désert malien. Il serait étonnant que l'on ne s'y essaye pas. À trois millions l'unité, il faudrait juste éviter qu'ils les cassent.

L'opération, enfin, dans la façon dont elle est conduite, va générer une remarquable quantité de profits politiques, qui permettent, contre les États-Unis et leurs échecs répétés, d'affirmer une manière autochtone de faire les choses. Bien sûr, on n'est pas en Afghanistan : il faudrait pour cela que l'Afghanistan soit une ancienne colonie dont le Français reste la langue officielle et qu'une centaine de milliers d'afghans résident sur le territoire métropolitain. Il n'empêche : recevoir à l'Élysée les associations maliennes dès les premiers jours du conflit, sécuriser les alentours des villes reprises pour ensuite laisser l'armée malienne y entrer la première, se rendre dès que possible sur place et ne pas craindre les contacts avec la population, toutes ces petites attentions qui ne coûtent rien et restent dans les mémoires témoignent d'une volonté affichée de s'engager totalement sur le terrain sans pour autant trop se mettre en avant, l'opposé exact de la doctrine américaine en la matière. Et tout cela efface bien quelque chose, et sans doute pour longtemps, le sinistre discours de Dakar, la personnalité de son locuteur et l'invraisemblable archaïsme des idées de son porte-plume. C'est déjà ça.