Les hostilités ont démarré avant même l'élection présidentielle, avec ce billet d'un journaliste et documentaliste, devenu depuis lors député sur la liste de la France Insoumise. Le quotidien du soir n'ayant pas pour habitude de laisser un accès en ligne gratuit aux textes qui ne lui ont rien coûté, impossible de recenser avec exactitude les occurrences, sous des formes variées, de ce terme qu'il scande dans son libelle, haine. Ensuite, la vague a enflé, produisant par exemple cet entretien déconcertant d'une sociologue émérite, ancienne élue au Comité d'hygiène et de sécurité de feu l'IRESCO. Apparaissent alors des termes inédits au contour vague, tel cette Macronie qui visiblement désigne, à droite aussi bien qu'à gauche, un objet d'exécration. Les positions se solidifient, les certitudes s'ancrent, tout un processus de production du réel se met en place, et il ne peut qu'interloquer un esprit rationnel puisqu'il reste, pour l'heure, par définition, totalement fictif.

Qu'ont donc fait de si grave un Président tout juste élu et une majorité parlementaire essentiellement composée d’inconnus sans doute avant tout préoccupés de l'apprentissage de leur nouveau métier ? Qu'y a-t-il de tellement révoltant dans la personne même d'Emmanuel Macron ? Du portrait un poil allusif qu'il donne de lui-même, on retient des traits finalement assez courants aux sommets de l’État. Fils de notables provinciaux, énarque, inspecteur des Finances, passé chez Rotschild & Cie où il s'occupait du quotidien des banques d'affaires, les fusions-acquisitions, il rejoindra ensuite le secrétariat général de l’Élysée avant d'être nommé ministre de l’Économie. En somme, le parcours d'un jeune homme brillant, semblable à d'autres, rare par définition mais, dans sa singularité, à l'intérieur de la haute fonction publique, assez habituel.
En fait, ce qui le distingue des autres, de ses concurrents à la présidentielle, c'est sa jeunesse, sa conversion à une carrière politique, et les implications de ces deux propriétés. François Fillon, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, dignes représentants de la manière traditionnelle de faire de la politique, ont depuis toujours été des professionnels. Comparativement peu voire très peu diplômés puisque le premier a abandonné une thèse en cours là où les deux autres n'ont obtenu qu'une simple licence, ils s'opposent ainsi au premier de classe qui, entre Henri IV, Sciences Po et l'ENA a trouvé le temps, en échouant à l'ENS, de poursuivre des études de philosophie jusqu'au DEA. Là où Benoît Hamon a suivi la filière de formation propre au Parti Socialiste, l'UNEF, puis le Mouvement des Jeunes Socialistes qu'il a présidé, les deux autres ont été choisis par leurs patrons respectifs, Joël Le Theule, mort prématurément alors qu'il était ministre de la Défense, Claude Germon, député de l'Essonne. On comprend toute la frustration qu'entraîne, après une vie entière de dur labeur militant, le fait de se retrouver doublé dans l'ultime ligne droite par un nouveau venu, fondateur de son propre mouvement et porté là par un concours de circonstances qui lui dégage un vaste espace dans un territoire délaissé, le centre, espace qu'il se trouve seul en mesure d'occuper.
Facile, dès lors, de stigmatiser celui qui justement ne respecte pas la procédure usuelle, d'en faire, pour reprendre les assommants parallèles de ces éditorialistes qui veulent tout faire rentrer de force dans une matrice d'ancien régime, un usurpateur. Rarement aura-t-on connu une telle détestation, un semblable procès en légitimité instruit contre un président, où l'on additionne les pourcentages au dixième près, où l'on recompte méticuleusement les voix qui se sont portées sur Emmanuel Macron tout en ne devant pas être considérées comme lui étant acquises. En 1981, la première élection de François Mitterrand a certes déclenché des réactions similaires, mais les attaques venaient alors d'un seul côté. Sans doute est-ce le propre d'un président centriste que de devoir subir des assauts sur ses deux flancs.

Mais la clé de l'histoire tient peut être dans la jeunesse, qui porte au pouvoir un quadragénaire. Un jour, des historiens s'intéresseront sûrement à ce processus d'aggiornamento qui, chaque fois en fonction de calendriers, de modalités, d'équilibres particuliers et sous la pression de circonstances par définition spécifiques, a vu une large fraction des pays européens s'adapter à la situation nouvelle née des divers chocs subis depuis le début des années 1980, et qui leur ont permis de trouver une trajectoire soutenable en matière de déficits publics, de chômage, de croissance, voire même de sécurité de leur système bancaire. Qu'il se soit déroulé sans grand drame dans l'Allemagne de Gerhard Schröder, ou de façon catastrophique dans l'Espagne d'après 2008, presque partout, cet aggiornamento a eu lieu. Et le dernier carré des résistants ne comprend plus guère que deux membres, l'Italie et la France.
L'accueil enthousiaste que les instances internationales, dirigeants, hauts fonctionnaires, presse ont réservé à Emmanuel Macron, sur l'air sans doute très prématuré du enfin la France se décide à bouger montre à quel point les premiers arrivés sont fatigués d'attendre les retardataires. Pour l'heure, on ignore toujours s'il se passera quelque chose, quoi, ou comment. Mais on ne peut nier qu'avec ce président et sa majorité parlementaire, la probabilité d'un changement significatif soit élevée. On comprend que, pour ceux qui, sans doute à raison, pensent avoir plus à y perdre qu'à y gagner un tel risque doive être combattu avec la plus grande fermeté.