Parmi tant d'autres points significatifs, le récent jugement dans lequel le Tribunal administratif de Paris annule la décision du Conseil de Paris fermant à la circulation des véhicules motorisés la section centrale de la voie Georges Pompidou, sur les quais de la rive droite de la Seine, offre à l'observateur averti l'occasion d'une petite spéculation. On peut en effet lire ce jugement à l'envers, en ce qu'il retrace le cheminement d'une décision politique vers sa traduction réglementaire, et la commande faite à l'administration municipale de trouver de quoi fonder en droit une décision déjà prise. Ce n'est pas faire injure à cette administration que de constater qu’elle a échoué, d'autant que l'on ne prend guère de risque à parier qu’elle avait prévenu sa hiérarchie de la légèreté de ses motifs, et du risque encouru si, d'aventure, un grincheux venait à contester cette fermeture devant la justice administrative.

Aussi la réaction virulente de la municipalité parisienne recèle-t-elle un véritable potentiel comique, avec ce long cri d'indignation dans lequel elle mobilise toutes les ressources de son arsenal rhétorique, tout en démontrant une fois de plus son incomparable dextérité dans l'art raffiné du bonneteau statistique. Faute de place, on se contentera de commenter deux points de cet argumentaire, avec d'abord ce qui a trait à la pollution atmosphérique. Au passage, on remarquera que la Mairie fait ici preuve d'une rare sollicitude à l'égard de sa banlieue, puisqu'elle ne fait aucune distinction entre Parisiens et Franciliens, les données d'Airparif auxquelles elle se réfère couvrant toute l’Île-de-France. Il faudra un esprit singulièrement mesquin pour faire remarquer que le seul territoire municipal jouit d'une qualité de l'air systématiquement meilleure que celle de la région dans son ensemble.

Cette réponse à une décision de justice détaillée sur dix-sept pages pourrait difficilement adopter un format plus opposé. On se retrouve face à une série de vignettes exposant un court slogan et un chiffre choc, renvoyant en annexe à une page complémentaire qui fonctionne exactement de la même manière. Il s'agit moins, en somme, d'argumenter, que de fournir à ses troupes de quoi nourrir leur activité sur un célèbre réseau social. Malgré tout, on relève un lien qui pointe vers le site d'Airparif, la seule autorité en la matière, et en l'espèce vers le bilan 2015 de l’association.
Trois millions de Franciliens, nous dit la Mairie, respirent un air pollué : on se demande donc d'où sort ce chiffre puisque, en première analyse, Airparif n'en compte que la moitié. Il se trouve, de plus, que ce rapport, on l'a analysé lors de sa publication, voilà bientôt deux ans. Dans l'éventail des polluants contrôlés, le chiffre choisi pour faire peur fait référence au dioxyde d'azote, une substance qui n'a plus déclenché d'alerte à la pollution à Paris depuis vingt-et-un ans, et plus précisément au dépassement de la valeur limite annuelle, qu'aucune métropole européenne ne respecte. Il aurait été plus pertinent, et plus honnête sans doute, de s'en tenir aux particules fines, dernier polluant vraiment problématique. Hélas, nous dit Airparif, elles n'affectent plus aujourd'hui que 300 000 Franciliens, ce qui, immédiatement, devient bien moins spectaculaire.
Étrangement, la Mairie a par ailleurs choisi d'ignorer l'édition 2016 du même rapport, pourtant publiée en juin dernier. Il est vrai que, dans celle-ci, la quantité de Franciliens soumis à ces excès particulaires est tombée à 200 000.

Mais si la Mairie réagit avec une vigueur un peu inquiétante à, il semble utile de le rappeler, une décision de justice, c'est sans doute à cause des considérants 14 à 17 du Tribunal administratif, lesquels mettent en pièces la notion supposée justifier scientifiquement son action, l'évaporation. Entre autres méchancetés, le tribunal fait un peu d’épistémologie, rappelant qu'une collection de cas particuliers ne saurait suffire à fonder un concept scientifique, un peu de statistique, jugeant qu'un écart de un à quatre entre trafic estimé et comptabilisé était quand même un poil excessif, et un peu de géographie, considérant que limiter l'étude d'impact à une zone centrée sur la voie en question et large de 200 mètres ne permettait pas de pleinement apprécier les effets d'une mesure qui s'exercent jusqu'à l'échelon régional.

Et c'est bien là que se situe l'enjeu fondamental de l'affaire, dont l'importance déborde largement du territoire concerné, et ne saurait être réduite au combat entre une capitale de gauche et une région de droite. Installée sur une emprise qui, comme le rappelle le Tribunal, reste toujours la propriété du port autonome de Paris même s'il n'en a plus l'usage, la voie Georges Pompidou assurait une liaison directe entre banlieues ouest et est, et réduisait la capitale à un simple rôle de transit. En d'autres termes, elle lui imposait une servitude dont bénéficiaient essentiellement des banlieusards. D'une manière qui vient d'être déclarée illégale, la Mairie a donc décidé de couper cette liaison. L'évaporation du trafic, cette notion quasi-magique, moralisatrice, puisqu'elle dénie aux usagers motorisés de la voirie leur droit légitime à l'employer, et autoritaire, puisqu'elle leur laisse la charge de se débrouiller autrement et d'aller n'importe où, mais pas ici, se présente ainsi telle qu'elle est, un abus de pouvoir. Qui se soucie, après tout, de la manière dont vont se comporter ces banlieusards, qui trouveront sûrement un moyen de passer. Par les égouts, au besoin.
Plus aristocratique que jamais, la municipalité parisienne livre ainsi sa conception du rôle d'une ville située au centre d'une métropole mais bien décidée à s'affranchir de toutes les contraintes qui accompagnent nécessairement sa position géographique, aussi bien que son insertion dans un espace politique et économique plus vaste. Illustré de magnifiques clichés opposant, littéralement, le jour à la nuit, l'argumentaire municipal confirme si besoin était le destin qui attend, sinon toute la capitale, du moins ses arrondissements centraux, celui d'être le réceptacle à touristes d'une ville-musée, construite et gérée dans le mépris le plus complet de tout le reste, y compris le simple respect de l’État de droit.