En étant pressé, on pourrait sommairement classer en deux catégories les projets architecturaux publics contemporains  : les somptuaires, et les pragmatiques. Dans le premier tiroir on rangera sans hésiter la Philharmonie de Paris, le musée des Confluences de Lyon, et, dernièrement, la Seine Musicale commandée à un prix Pritzker par le conseil départemental des Hauts de Seine et installée à la pointe nord de l’île Séguin. Un bâtiment affreux, simple soubassement de béton nu doté d'horribles huisseries, agrémenté à son extrémité de l'indispensable morceau de bravoure, une bulle abritant l'auditorium et flanquée d'un bidule dont la vanité et l'inefficacité valent comme marques de l'époque, une volée de panneaux photovoltaïques montés sur rail et supposés suivre la course du soleil. Ces projets partagent une destination, servir les politiques culturelles des pouvoirs locaux, et une finalité, contribuer à la gloire de leur mécène, défendre son blason dans les tournois symboliques auxquels, entre eux, ils s'abandonnent. Accessoirement, quand leur installation au bord d'une autoroute urbaine le permet, ils offrent un bonus, celui d'épater le touriste.
Cette commune situation est bien le seul point que ces vanités partagent avec le nouveau palais de justice de Paris. Parmi bien d'autres qualités, le bâtiment de Renzo Piano possède aussi celle d'ignorer les facilités offertes par les modernes outils de conception, lesquels permettent de dessiner les formes les plus audacieuses, en négligeant totalement et le coût de la construction, et celui de l'entretien. La vertu janséniste des partenariats public-privé assure, à l'inverse, un respect assez étroit des délais comme de l'enveloppe budgétaire ; elle a sans doute aussi interdit à l'architecte la fantaisie dont a fait preuve l'équipe de son vieux complice, Lord Richard Rogers, au moment de réaliser le tribunal de Bordeaux. Le mérite de Renzo Piano n'en est que plus grand.

Contraint d'empiler une quantité considérable de niveaux sur un terrain réduit, il a su éviter la facilité du monolithe. Quatre blocs de plus en plus étroits, nettement séparés les uns des autres à la fois par la structure, qui fait appel à ce que l'entrepreneur qualifie de taille de guêpe, et par la verdure de ces jardins implantés sur chaque rupture, dessinent le paradoxe d'un bâtiment qui s'étend autant à l'horizontale qu'à la verticale. Cette organisation présente l'avantage secondaire d'illustrer clairement la hiérarchie de l'institution, du peuple qui reste confiné dans le socle, à la petite noblesse seule autorisée dans les étages supérieurs. La grande, on le sait, assises, appel, cassation, restera dans l'entre-soi de ses vielles pierres, sur l'île de la Cité. Pour relier le tout, deux traits parcourent la construction de bas en haut, la hampe de l'indispensable drapeau tricolore, et un ascenseur extérieur réservé aux amateurs de sensations.
En façade, on retrouve ce verre employé dans bien d'autres projets, parfois à grand spectacle. À l'opposé de ces miroirs imbéciles qui, en des temps heureusement révolus, signalaient, en poncifs inévitables, l'architecture de bureaux, cette façade reflète moins des formes que des atmosphères, celles d"un ciel par définition toujours variable. Grâce au verre, la couleur du palais change en permanence, et celui-ci n'est jamais aussi beau que sous un léger voile nuageux. Application rigoureuse de principes simples, il se classe sans hésitation, comme d'autres œuvres discrètes et efficaces telles les Archives nationales de Massimiliano Fuksas, dans la catégorie des pragmatiques. Et avec sa simplicité, son vocabulaire réduit, son économie de moyens, il vaut aussi comme exemple de bâtiment authentiquement moderne.

Quant à la manière dont il est organisé, elle semble trouver grâce aux yeux de ses adversaires les plus acharnés même, si, inévitablement, ses premiers mois seront ceux et de son apprentissage, et de la résolution des multiples problèmes que connaît nécessairement, à son ouverture, un bâtiment de cette taille. Entre autres fonctions, l'architecte possède celle de fournir aux amoureux des mondes simples le bouc émissaire dont ils ont besoin pour se plaindre de tout ce qui ne va pas. En l'espèce, sa charge ne devrait pas être bien lourde, puisque ce qui ne va pas se situe, pour l'essentiel, à l'extérieur, en particulier dans ce réseau de transports dont la pièce essentielle, une nouvelle ligne de métro, sera, si tout va bien, livrée avec trois ans de retard. Ce délai en conditionnant d'autres, l'environnement immédiat du nouveau palais reste, pour des mois, voire des années, assez désertique. Trouver le point d'eau le plus proche implique, par exemple, de changer de ville, donc de département. Mais la tâche n'a rien d'insurmontable, puisqu'elle exige simplement de marcher 200 mètres en direction du nord. Et en attendant de pouvoir enfin s'abreuver au plus près, le visiteur, occasionnel ou régulier, pourra profiter des hauteurs pour admirer, en face, une autre construction remarquable.