Il ne saurait être question, pour l'amateur d'architecture moderne et contemporaine passant deux petites journées dans une ville inconnue, de ne pas en profiter, les obligations militantes l'ayant amené ici une fois remplies, pour pratiquer ce tourisme urbain un peu particulier qui néglige tout ce qui a été construit avant 1890. À cet effet, il récoltera sur le web de quoi établir son programme, en commençant, trivialement, par explorer les ressources mises à sa disposition par la municipalité. Hélas, ici, on n'est pas à Nancy ; on est à Metz.

Comme une collection d'églises identiques à ce que l'on trouve partout ailleurs ne saurait justifier des kilomètres de déambulations, on va regarder ailleurs, et on tombe sur la ville impériale, ce quartier construit autour de la gare au début du siècle dernier, et qui manifeste de la façon la plus claire la manière dont l'empire allemand entendait inscrire sa domination dans le paysage urbain. Banque, poste centrale, chambre des métiers, hôtel des mines, toutes ces institutions que l'industrialisation rend indispensable obéissent au même schéma, monolithes imposants souvent composés de grès rose, bâtiments massifs dans lesquels un esprit pervers lirait une volonté inconsciente de conforter les plus ordinaires stéréotypes de lourdeur germanique. Mais en insistant, on découvre pourtant tout autre chose.
Ainsi, une visite attentive de la gare révélera quantité de décorations d'inspiration florale ou animale, des motifs géométriques typiques de la sécession viennoise, ou encore de petites scènes allégoriques retraçant la vie des champs ou le travail à l'usine, un genre que la IIIème République a pratiqué avec autant de constance que d’enthousiasme. En s'éloignant un peu, on arrive assez vite à l’extraordinaire avenue Foch, calme et large boulevard avec terre-plein central, quartier d’élection d’une grande bourgeoisie qui y a construit les belles demeures qu’elle affectionne dans des styles assez divers, et qui vaut comme un modèle réduit de son homonyme parisienne. Au moins historiquement, un tel ensemble paraît à peu près unique, d'autant que, après 1945, il ne restait plus grand chose de ses équivalents allemands. Cette singularité, pourtant, n'est guère mise en valeur. Sans doute le souvenir de l'annexion qui lui reste inévitablement attaché, avec les comptes qu'il a fallu régler et dont on trouvera une trace dans la signature effacée de l'architecte du magnifique hôtel Royal, pèse-t-il encore.

Mais peut-être faut-il, plus banalement, mettre en cause la municipalité, et le mesquinerie de sa politique d'urbanisme. Dans la course au mécénat culturel à laquelle se livre les métropoles, Metz aura eu son quart d'heure de modernité pour bien moins cher que ses concurrentes, avec le centre Pompidou-Metz inauguré en 2010. Objet un peu incongru posé sur une dalle à proximité de la gare, il vient d'être flanqué d'un centre des congrès conçu par Jean-Michel Wilmotte, un bâtiment austère, rigoureux, adapté à sa fonction et bien mieux intégré à son environnement qu'un lieu culturel qui se contente de satisfaire à son impératif d'excentricité. Une incursion vers le sud-est permet d'entrevoir l'école nationale d'ingénieurs, typique de l'amour qu'Architecture Studio porte aux toitures en S, laquelle clôt la courte liste des constructions récentes dignes d'intérêt.
Mais la promenade ne s'arrête pas là. De retour en ville, en s'enfonçant dans le quartier impérial, en doublant un large secteur en travaux, on découvre, comme souvent, un trésor inattendu, l'église Sainte-Thérèse. Conçue par Roger-Henri Expert, bien connu des parisiens pour son groupe scolaire rue Küss, et par Théophile Dedun, sa structure en béton paraissait encore moderne lorsqu'elle fut achevée au milieu des années 1950. Autant dire qu'au début des travaux, en 1937, elle était d’avant-garde. Aujourd'hui bien dégradée, elle fait pourtant face à un spectacle désolant.

L'espace dégagé par la destruction d'un ancien hôpital aurait pu être mis à profit pour fabriquer l'un de ces quartiers modernes qui vous inscrivent une ville dans le XXIème siècle et font la fierté d'un maire dans les colloques internationaux. Que l'on se soit, à la place, contenté d'une anonyme architecture de promoteur donne la mesure d'une absence d'ambition, laquelle s'exprime aussi dans cet autre poncif, la candidature à l'UNESCO qui passe ici par un discours de publicitaire recyclant ces arguments ordinaires que l'on retrouve à l'identique dans tous les bulletins municipaux. À Metz comme à Bruxelles, l’autoroute débouche en pleine ville et, ici aussi, la municipalité n'a pas compris, au-delà de l'anecdote ou du coup d’éclat, l'intérêt de mener une politique architecturale. Au moins, en visitant Metz, on comprend mieux pourquoi Nancy est devenue la capitale française de l'Art nouveau.