garage
Surveillés par le fisc et la police municipale, tenus avec un calendrier fixe en des lieux déterminés, les vides-greniers, ces espèces de brocantes éphémères plus ou moins professionnelles qui apportent de temps à autre un soupçon d'animation dans nos villages, n'entretiennent qu'un assez lointain rapport avec les garage sales répandues sur le continent nord-américain. Grâce à ces transactions qui, de manière archétypique, se tiennent à l'occasion d'un déménagement, les vendeurs vont, en déposant devant leur porte les objets dont ils souhaitent se séparer, tenter de gagner quelques sous, se débarrasser d'une foultitude de choses devenues plus encombrantes qu'utiles et, par là-même, inévitablement liquider un morceau de leur passé. Bien souvent, on ne trouvera là que des objets humbles à la valeur intrinsèque minime mais parfois dotés d'une forte charge symbolique, laquelle n'a de sens que pour un propriétaire qui renonce donc, en les vendant, à cet élément immatériel et non monnayable.
Vêtements, chaussures, meubles, disques, affiches, instruments de
musique, on retrouve les pièces d'un tel bric-à-brac dans un
événement récent qui emprunte aux garage sales leur
caractère de débarras, mais adopte une modalité spéciale, puisqu'il
suit un processus qui relève, lui, d'un autre univers économique et
social, celui de la vente aux enchères de biens culturels.
Samedi dernier Peter
Hook a, en quelques sorte, lui aussi vidé son garage, et vendu
des choses que, de manière un brin compulsive, il accumulait depuis
des décennies. On trouve ici aussi des objets modestes, un perfecto
bien usé, une copie
de guitare basse d'une marque connue, voire, de façon encore plus
triviale, des flight cases, ces malles renforcées dans
lesquelles voyage le matériel d'une tournée, ou d'un tournage.
Pourtant ces souvenirs au coût d'acquisition objectivement
dérisoire, souvent quelques dizaines de livres, seront parfois
adjugés à des prix délirants, à l'image de ce lot
essentiellement composé d'un simple bout de papier tamponné, un
ticket d'entrée pour un concert qui, voilà plus de quarante ans, le
4 juin 1976, a attiré moins de cent spectateurs, à Manchester, au Lesser Free Trade Hall.
Ces objets qui n'ont rien de remarquable et à la valeur d'usage
nulle sont par contre dotés d'une énorme charge symbolique laquelle,
à la différence du tout-venant des garage sales, se trouve
connue de et partagée par suffisamment de gens pour
que leur dispersion ait lieu dans une salle de ventes, à l'occasion
d'enchères classiques accessibles au monde entier, et pas au coin
d'une rue, à destination d'une dizaine de badauds. La petite
collection informelle de Hooky acquiert ainsi un statut qui la
rapproche des procédures de la culture légitime, où l'on voit par
exemple une Catherine Deneuve faire le ménage dans ses placards, et
céder des biens
autrement plus prestigieux, ces tenues dont la valeur tient sans doute
moins au fait qu'elle les ait portées qu'à la personnalité, et à la
notoriété, de leur créateur, ce qui témoigne, en fait, du jeu d'un
mécanisme bien connu, et étudié,
celui du marché de l'art.
Mais leur entrée dans le circuit des ventes aux enchères ne
métamorphose pas les souvenirs de Peter Hook en œuvres d'art qui
connaîtront ensuite un destin autonome, dispersées, valorisées,
vendues et revendues. Quand bien même certains d'entre eux
trouveront leur place chez des amateurs collectionnant ce genre de
choses, ces objets resteront avant tout les témoins d'une épopée qui
a vu quelques très jeunes gens dotés de très peu de moyens écrire un
chapitre capital dans l'histoire de la culture de jeunes, les
témoins aussi de l'instant où, tant qu'il est encore temps, il
convient de le clore.