La structure des rapports de force politiques étant maintenant établie et fixée pour les cinq années à venir, on attendait avec impatience que se manifestent les premières incarnations de l'alliance asymétrique entre le Parti Socialiste et EELV. Car l'échec électoral d'écologistes plus que jamais soumis au bon vouloir de plus puissants qu'eux pour obtenir des places au parlement comme au gouvernement, et privés de toute capacité de nuire, rend d'autant plus instructif l'analyse des quelques occasions de briller en société que leur procureront leurs alliés : disposeront-ils d'un peu de poids et de quelques libertés, ou devront-il se contenter du service minimum ? Et s'ils abusent d'une liberté très surveillée, conserveront-ils la bienveillance de leurs patrons ? Une première réponse vient d'être apportée au Sénat, avec un rapport consacré à un thème central pour les écologistes, la production d'énergie, rapport qui présente la particularité d'être le fruit du travail d'une commission présidée par un cacique de l'UMP, mais dont le rapporteur appartient au groupe écologiste. D'un point de vue technique, son contenu déçoit assez vite. Car le Sénat, grâce en particulier au remarquable travail des parlementaires de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, nous avait habitué à des synthèses d'une excellente qualité scientifique. Pourtant, rien de tel ici puisque le sénateur-rapporteur EELV, s'il représente socialement, puisque cet animateur socio-culturel s'est illustré au sein de mouvements de chômeurs, comme politiquement, avec son appartenance ancienne à la Ligue Communiste Révolutionnaire, une trajectoire typique des Verts, ne dispose a priori d'aucune qualification pour traiter du sujet dont il est question.
Mais, on le comprend vite, il n'y a rien de technique dans tout cela. Il s'agit, pour reprendre son intitulé merveilleusement significatif, du rapport d'une commission d'enquête dont l'objectif est de déterminer les "coûts réels" de l'électricité, commission qui statue avec un objectif : répartir les coûts en question entre les différents agents économiques. En d'autres termes, on ne prend même pas la peine de camoufler un peu ni le but, ni la méthode. Comme toute commission de ce type, elle va dresser un acte d'accusation, celui d'EDF, avec son parc électronucléaire et son réseau de distribution unidirectionnel et centralisé, ces ennemis historiques sans lesquels le mouvement écologiste ne serait ce qu'il est, accusé coupable de produire massivement une électricité scandaleuse, puisqu'à la fois peu chère et non émettrice de CO2. Pour avoir sa peau, la méthode est simple, et en usage depuis bien longtemps : surcharger sa péniche jusqu'à la faire couler, tout en faisant perdre autant de poids que possible aux gracieux esquifs de l'énergie verte.

Et pourtant, ça commence mal : impossible de ne pas constater que, à la seule exception de la Grèce, la France propose, avec un prix de l'ordre de 130 euros, le MWh le moins cher de l'UE à 15 ; à l'autre extrémité du spectre, on trouve le Danemark, à 275 euros, et l'Allemagne, à 245. La rhétorique qui permet d'annuler par petites touches cet incontestable avantage procuré par le parc électronucléaire d'EDF possède une indéniable beauté. L'argument choc, un brin paradoxal, vient en première ligne : pour le consommateur ordinaire, cette électricité bon marché coûte en fait fort cher, puisque sa facture compte parmi les plus élevées d'Europe. C'est que, incité qu'il par le démoniaque EDF qui profite de son monopole pour imposer ce chauffage électrique avec lequel il rentabilise son parc de centrales, le particulier consomme beaucoup. L'argument n'est pas dénué de validité, le kw bon marché n'entraînant pas la meilleure des incitations à isoler correctement son doux foyer, encore que. Mais il oublie un peu vite que ce kw gaspillé par effet Joule représente autant de calories économisées, calories d'origine le plus souvent fossile puisque produites par du gaz naturel. Un tableau succinct recensant l'ensemble des consommations énergétiques de quelques pays européens se montre ainsi beaucoup plus favorable au cas français, étant entendu que la Grèce, l'Italie ou l'Espagne disposent, en matière de températures hivernales, d'avantages comparatifs dont se trouve dépourvue l'Europe du nord. Mais la cargaison étant réservée, il ne reste plus, ensuite, qu'à remplir les soutes.
Appuyée sur un rapport de la Cour des comptes, la manœuvre s'effectue sans difficulté, le rapporteur faisant feu de tout combustible : les dépenses de recherche, l'activité du CEA, l'entretien des centrales, la gestion de déchets et même l'assurance à souscrire contre un hypothétique accident majeur ou le coût de l'EPR, alors même qu'aucun réacteur de ce type n'est encore entré en service, tout est bon pour surcharger de coûts l'électronucléaire. Pas un mot sur les recettes commerciales, à l'exportation en particulier, de la filière, et encore moins sur les mégatonnes d'émissions évitées de ce gaz qui reste le grand absent du rapport, le CO2 : les externalités de l'électronucléaire ne sauraient être que négatives.

Les énergies alternatives, comme on pouvait s'y attendre, seront l'objet d'un traitement inverse, même s'il convient de nuancer cette affirmation, le coût du kw photovoltaïque interdisant au plus convaincu des écolos d'accorder sa considération à ce qui reste essentiellement un merveilleux aspirateur à subventions. Pourtant, cette évidence ne semble pas avoir été comprise par tous. L'avenir, le rapporteur en est convaincu, sera totalement débarrassé du nucléaire, grâce aux économies d'énergie, et grâce à l'éolien : les inconvénients rédhibitoires de cette filière cèdent sans difficulté face à son enthousiasme, puisqu'il voit le problème de l'intermittence résolu grâce au mirage de l'hydrogène, grâce aussi aux interconnexions de lignes à très haute tension qui permettent déjà aux éoliennes danoises d'alimenter les turbines hydrauliques suisses, grâce, enfin, à la smart grid qui mettra fin au monopole hiérarchique du réseau EDF et permettra à chacun de produire autant que de consommer. Le fait, évidemment, de faire référence à des techniques purement expérimentales, ou d'oublier fort opportunément de quel camp viennent les opposants déterminés au déploiement de lignes à haute tension ne saurait contrarier son optimisme.

Somme toute, l'exercice se révèle concluant. Loin de toute neutralité, le rapporteur se comporte bien en militant, au point de voir ses conclusions attaquées par ses pairs. Le contraire aurait surpris puisque, par exemple, une bonne part de son inspiration, et nombre de données, proviennent de Global Chance, qui, hors annexes, bénéficie dans le rapport de vingt-deux citations là où, pour mentionner un intervenant de statut similaire et d'opinion opposée, Jean-Marc Jancovici n'a droit qu'à deux. Et on connaît mieux que cette boutique farouchement anti-nucléaire, et enracinée dans ce mouvement dès l'origine, en matière de référence axiologiquement neutre pour la haute assemblée. Aussi l'intérêt du rapport réside-t-il, pour l'essentiel, dans l'intervention à la page 298 du groupe écologiste qui, sûr de sa force, expose sans nuance une vision de l'avenir toute d'autorité et de certitude, qui donne l'impression que les Verts nous cachent, dans on ne sait quel sombre recoin, une machine à voyager dans le temps grâce à laquelle ils peuvent décrire avec précision et assurance ce que sera nécessairement le monde dans cinquante ans. À défaut, il faudrait conclure que leurs propos, exposés avec un aplomb dans le travestissement seulement égalé par le PCF à sa grande époque brejnevo-marchaisienne, avec cette théorisation d'un homme nouveau, le "consomm'acteur", et d'une société "responsable et solidaire", ne peuvent que s'appuyer sur une forte volonté de contraindre, et de punir les récalcitrants, et résonnent ainsi de l'inquiétante musique de l'embrigadement des masses.