une première
Parfois, on en vient à regretter de s'être imposé des règles qui proscrivent le recours à l'illustration, si facile, si envahissante, mais, à l'occasion, utile. Faute de mieux, il faudra donc imaginer le promeneur découvrant, sur le mur aveugle d'un immeuble prédisposé à cet effet, haut d'une douzaine d'étages et bien visible des usagers du périphérique parisien, quelques centaines de mètres à l'est de la porte de Clichy, une toute récente œuvre picturale à vocation publicitaire et, donc, édifiante. Une petite fée à la longue chevelure blonde concentre entre ses mains la lumière neuve du monde. L'apparition, virginale, botticellienne, tient du miracle puisque cette lumière provient d'une lampe à diodes électroluminescentes Toshiba e-Core dont l'alimentation électrique relève sûrement de l'intervention de l'esprit saint, la petite fille se trouvant en pleine campagne, dans un champ dont les blés aussi blonds que ses cheveux s'étendent à perte de vue. Ceci posé, plutôt que de se contenter d'une description un peu vaine, autant se référer à l'image fournie par le concepteur. Ce que, en revanche, l'on ne voit pas sur la photo, et qui reste invisible de l'automobiliste pressé et accessible au seul piéton, c'est la grille de cellules photovoltaïques disposée en dessous du panneau publicitaire, et orientée vers le sud-ouest.
Toshiba, "entreprise citoyenne de la planète terre", une définition qui dénote un sens certain de l'anticipation, a donc choisi ce mur aveugle en des lieux désolés pour réaliser ce qu'elle présente comme une première à l'échelle de l'Europe : la "première publicité lumineuse éco-conçue", vertueuse à double titre puisqu'elle vante d'une part les mérites des diodes, source d'éclairage la plus économe en électricité, et qu'elle se flatte d'autre part de briller la nuit sans rejets carbonés, les malheureux watts malgré tout indispensables pour éclairer les foules lorsque ce feignant de soleil est couché l'étant grâce à 56 panneaux photovoltaïques en silicium monocristallin, puissants chacun de 300 Wc. Tout de suite, un problème se pose, puisque la petite fée blonde ne dispose sûrement pas du pouvoir qui ferait briller le soleil la nuit pour alimenter ces photopiles sans lesquelles elle resterait seule, perdue dans la pénombre de son mur sinistre : nécessairement, Toshiba a donc complété son installation d'un réseau de batteries à même de restituer nuitamment l'électricité produite de jour. La lecture du communiqué de presse donne pourtant à l'énigme une réponse toute autre. Pendant la journée, l'électricité produite rejoint le réseau ; mais la nuit, c'est ce même réseau qui "est utilisé comme une batterie" et fournit donc les watts nécessaires lesquels, dans notre beau pays, ont ainsi toutes les chances d'être pour l'essentiel d'origine nucléaire, et un peu hydraulique. Merveilleuse création que cette assimilation du réseau, producteur d'une énergie qui doit être consommée dans l'instant, à une batterie, dispositif électrochimique à même de stocker cette énergie en quantités infimes. De cette façon, sûrement, s'explique le contrariant miracle de ces illuminations de Noël approvisionnées par des photopiles. Si la vertu ne sort pas grandie de l'affaire, la morale, du moins, reste sauve, et le dispositif bien mieux élaboré que la naïve escroquerie de cet agriculteur andalou qui, écrivaient Les Échos le mois dernier, utilisait un groupe électrogène pour accroître nuitamment la production subventionnée de sa ferme solaire. Mais alors, puisque l'énergie de l'un ne peut en aucun cas servir à l'autre, la relation entre les panneaux photovoltaïques et l'illustration qui les surplombe se révèle n'être que purement spatiale, et simplement voulue à des fins publicitaires. Mais l'intérêt de la chose ne s'arrête pas là.
Car si l'on a, d'un côté, une publicité lumineuse presque ordinaire, et, de l'autre, une installation photovoltaïque tout aussi banale, cette dernière n'a a priori aucune raison d'échapper au droit commun : Toshiba se garde bien de le préciser, mais on ne voit pas à quel titre le caractère publicitaire de sa démarche lui interdirait de profiter des subventions sans lesquelles une telle installation reste inconcevable. C'est que, à un tarif public de l'ordre de 300 euros pour un panneau de 100 Wc, l'investissement dépasse les 50 000 euros : un gestionnaire avisé de saurait renoncer aux financements que lui offre si généreusement une collectivité qui ne cherche qu'à promouvoir une certaine manière de faire, et ne se préoccupe pas des usages auxquels l'énergie est destinée. Toshiba, en somme, en plus de détourner la vertu écologiste à des fins purement mercantiles, puisque l'énergie qu'il produit ne sert pas à ces 15 maisons de quatre pièces données en équivalence de la capacité installée, mais n'existe que pour justifier l'éclairage de cet objet méprisable, un panneau publicitaire, trouve l'électricité nécessaire de la façon la plus banale, en raccordant son circuit au réseau, et, grâce aux subventions, se rembourse de ses dépenses aux frais de la collectivité. Remercions en tout cas l'entreprise japonaise d'avoir, pour sa première européenne, fait le choix de la porte de Clichy qui, après l'hôtel Ibis et ses panneaux partiellement protégés par un pare-soleil, se pose décidément en haut lieu de la cocasserie photovoltaïque.
Commentaires
(Le lien vers le PDF d'image est incorrect, « un peu vAine ».)
C'est ce qui s'appelle être réactif ; ça en devient inquiétant. Mais c'est déjà réglé.