On aurait pu penser, puisque cela fait presque un siècle qu'elle recueille les ordures ménagères de l'agglomération marseillaise, elle qui, progrès technique aidant, tapisse maintenant, à chaque grand coup de mistral, les vergers alentours d'une neige de sacs en plastique, que la décharge d'Entressen aurait pu faire l'affaire quelques années de plus. Mais, comme toujours, Bruxelles se montre inflexible : à la fin de l'année, quatre ans après la date limite de 2002, elle ferme. Pour la remplacer, et plutôt que d'apprendre la propreté aux marseillais, tâche qui risquait de se révéler herculéenne, la communauté urbaine Marseille Provence Métropole a opté pour la solution la plus intéressante à tous points de vue, l'installation sur un terrain appartenant au Port Autonome et situé sur la commune de Fos-sur-Mer d'un centre de traitement organisé autour d'un incinérateur de grande capacité.

Hélas, l'opposition à l'incinération figure au cahier des charges des entrepreneurs de morale écologiste, lesquels proposent au lieu de ces usines à détruire une stratégie - réduction à la source du volume des emballages et tri avec recyclage des déchets - qui présente le double avantage de rejeter la responsabilité de l'ensemble du processus de consommation sur les seuls coupables habituels, les industriels, et, privilégiant une méthode qui implique de reconstruire la totalité du bâti existant, de leur permettre de vociférer en paix sans jamais craindre d'être contraints, pour cause d'objectifs atteints, à fermer boutique. C'est que, depuis Seveso, il leur est facile d'épouvanter les foules avec un des ces rares termes qui font peur, dioxines, tout en évitant soigneusement de préciser que celles-ci sont, en plus des incinérateurs d'ordures, produites par la combustion du bois de chauffage, les incendies de forêts, ou les grillades. Or, les normes n'auraient-elles pas évolué en trente ans, en l'espèce, on ne risquerait pas grand'chose. Car cette pollution, effective dans un rayon de l'ordre de 5 km autour d'un incinérateur, se concentre au travers de la chaîne alimentaire, lait et viande de boeuf en particulier. Elle suppose donc, pour que l'on s'en inquiète, que le port de Fos abrite de verts pâturages et une riche terre d'élevage. De plus, ainsi que le montre un rapport de l'INVS, les normes actuelles induisent une réduction drastique des émissions - comme pour l'incinérateur d'Hénin-Beaumont qui, après modernisation, voit sa capacité augmentée de moitié et ses rejets divisés d'un facteur 600 - réduction dont, malgré la durée de vie des molécules en question, et désindustrialisation aidant, l'on mesure déjà les effets spectaculaires, puisque, pour citer l'INVS, l'analyse de sédiments "représentatifs du bruit de fond" montre, par rapport à un pic atteint en 1970, une diminution des contaminations de l'ordre de 80 %.
Imperméable à toute rationalité, la frayeur populaire devient ainsi une sorte de force de frappe dans un jeu extrêmement complexe où ressurgissent de vieux contentieux entre MPM et sa rivale socialiste de l'ouest du département, Ouest Provence, qui mène ainsi depuis trois ans une efficace guerilla contre le projet de l'envahisseur marseillais, où le préfet s'oppose à la justice, où tout le monde instrumentalise tout le monde, et où l'activisme écologiste fait une fois de plus la preuve de sa redoutable efficacité procédurière, le tout fournissant à France 3 Méditerranée l'argument d'un passionant feuilleton qui n'est pas près de prendre fin.

En effet, alors que les travaux commençaient et que tout paraissait perdu pour les opposants, le dernier et tout récent épisode relève du coup de théatre, avec la découverte opportune d'une cinquantaine de pieds de lys maritime, et l'injonction de suspension donnée par le tribunal d'Aix. Car l'espèce est protégée, ce qui en interdit " toute destruction, coupe, mutilation ou arrachage". On suppose que la chèvre, ou à défaut son propriétaire, surprise à la brouter sera sévèrement punie, comme, bien sûr, l'est déjà chaque plaisancier qui, levant l'ancre, arrache ainsi quelques posidonies, cette autre espèce protégée. Car, s'appliquant à des plantes herbacées ou à des insectes, cette réglementation ne peut servir à protéger ce dont on ne peut empêcher la destruction accidentelle : elle vise, pour peu que l'éventail des espèces agréées soit suffisamment large, à fournir un argument juridique pour sanctifier n'importe quel bout de terrain, fût-il situé au coeur d'une des zones les plus lourdement industrialisées d'Europe, et alimente ainsi d'une ressource inépuisable l'activisme écologiste.
A celui-ci, on reconnaîtra la vertu d'avoir modernisé une vieille légende locale : si l'on recherche toujours la sardine qui bouchait l'entrée du Vieux-Port, il a, en trouvant ces cinquante et un plants de lys maritime, réussit à étouffer l'incinérateur de Fos-sur-Mer.