Le plus surprenant, avec le dernier exploit des faucheurs d'OGM venus, un dimanche marial, juste avant l'aube, à Colmar, arracher soixante-dix pieds de vigne transgénique, est de découvrir avec quelle obstination l'INRA considère encore que sa mission consiste à mener les projets de recherche qui lui paraissent les plus pertinents, sans tenir aucun compte des avis de ce haut conseil scientifique que forme désormais l'opinion publique, laquelle s'exprime sans vraiment le savoir, mais en toute fidélité, au travers de son bras armé et légitime, les militants anti-OGM. Publiée dans Les Échos de mercredi, la réaction de la présidente de l'institut reste ainsi entièrement à l'intérieur du seul registre qu'elle se permette d'employer, celui du respect des lois. Pour autant, elle ne mésestime pas l'importance de considérations plus politiques. Et d'une certaine façon, la recherche en question donne un peu l'impression d'être l'essai de la dernière chance. Pratiquée sur un lopin dont, pour éviter une contamination virale, la terre était isolée de son environnement, conduite sur des pieds qui, servant seulement de support à des greffes, ne produisaient ni fleurs ni fruits, menée, en toute diplomatie, avec la collaboration d'écologistes locaux, elle montrait à quel point l'INRA était prêt à ces concessions qui lui semblaient garantir l'essentiel, la poursuite de ses recherches génétiques. Et cette stratégie a connu un certain succès : on en voudra pour preuve le vibrant communiqué de soutien aux faucheurs que les Verts ont rendu public. Expédié mécaniquement en quelques lignes, contraint, faute d'argument précis, de se contenter d'une généralisation creuse, manipulant l'épouvantail des multinationales, évitant donc soigneusement toute allusion au caractère public de la victime, prenant, en somme, ouvertement, ses lecteurs pour des abrutis, ce communiqué démontre en tout cas que l'INRA a au moins appris, dans l'affaire, une technique utile, celle qui consiste à couper proprement l'herbe sous les pieds de ses adversaires.
Mais ça ne suffit pas. Rester dans le cadre, seul accessible à un organisme public, de la loi, compter sur la rationalité seule n'apporte aucun secours face aux comportements étroitement obscurantistes de ceux qui, incarnations autoproclamées d'un intérêt supérieur qu'ils ont seuls la capacité de définir, ont décidé de s'affranchir des contraintes légales, sociales, et éthiques pour mener à bien leur croisade personnelle. La comparaison avec les inquisiteurs brûlant les hérétiques au nom d'autres intérêts supérieurs, ceux de la vraie foi, mais aussi des intérêts du condamné lui-même lequel, abandonné aux mains du démon, n'est plus en mesure de les percevoir, relève à peine de la métaphore. Contre eux, ne reste donc d'autre recours que celui du droit, et de la condamnation pénale.

Mais l'INRA agit ici avec la naïveté de ceux qui croient, ou feignent de croire, que le strict respect des contraintes règlementaires qui leur sont imposées, le fait, en somme, de se placer de la manière la plus complète dans l'ordre du droit, suffira à faire en sorte que la loi les protège. Une fois de plus, l'expérience prouve le contraire. Et on ne peut manquer de rapprocher l'action des faucheurs volontaires, dont le petit historique publié dans Les Échos rappelle qu'ils manient la faucille exterminatrice depuis plus de dix ans, de celle des illuminés de Tarnac. On a en effet, dans les deux cas, affaire à un groupe de quelques dizaines d'activistes partageant une commune idéologie et vandalisant de manière extrêmement ponctuelle et à l'abri de justifications politiques un bien public sans mettre en danger la vie de qui que ce soit. Quant au "trouble grave à l'ordre public par l'intimidation ou la terreur" évoqué dans l'article de L'Express à propos des saboteurs ferroviaires, il s'applique sans nul doute bien plus à une manœuvre qui va contraindre les chercheurs d'un établissement public à s'exiler, où à changer de métier, qu'à une ordinaire rupture de caténaire comme la SNCF en connaît, de manière accidentelle, plusieurs fois par an. Question faits, la différence entre les deux actes se limite donc au montant des dégâts causés, l'arrachage de vignes expérimentales n'étant pas nécessairement moins coûteux que le fauchage d'une ligne de traction de TGV ; question traitement judiciaire, c'est le jour et la nuit. Après leur interpellation lors d'une opération de police comme on n'en avait plus vu depuis Action Directe, après de longs mois de détention, les bricoleurs du rond à béton attendent un procès pour terrorisme que la justice semble bien peu pressée d'instruire. Les as du sécateur quant à eux, à l'image de leur chef de file, multi-récidiviste et toujours en liberté, ne risquent pas grand chose. En première instance, pour un premier arrachage perpétré à Colmar voilà moins d'un an, la justice est déjà passée : 2 000 euros d'amende en échange du plaisir de ruiner cinq ans de recherches, on aurait vraiment tort de se priver.

L'absence de soutien dont se plaint la directrice de l'INRA, l'indifférence d'un pouvoir qui, au moins dans ce domaine, semble abandonner à d'autres son monopole de l'usage légitime de la violence physique, l'isolement de chercheurs qui n'ont désormais d'autre option raisonnable, s'ils veulent préserver le savoir déjà acquis, que d'aller exercer leurs talents ailleurs, ne sont pas chose nouvelle. Depuis longtemps, en matière d'OGM agricoles, les choix, en France, ont été, définitivement, faits ; ne reste plus qu'à attendre le verdict du réel. Mais on peut être sûr, si les craintes de la directrice de l'INRA se révèlent fondées, si l'interdiction, aujourd'hui, du génie génétique agricole se paye, dans un futur proche, par la totale dépendance d'une agriculture nationale qui produira alors bien plus que les seuls aliments à l'égard d'importations dont elle ne contrôlera absolument pas la substance, et dont elle subira le coût, que ceux-là même qui auront organisé cette ruineuse subordination trouveront tous les arguments, et les relais, nécessaires à les dégager de leur responsabilité.