En juillet dernier et sous le déprimant titre SOS lobbyiste battue, la Tribune consacrait un article illustré d'une émouvante photographie la montrant au bord des larmes à Angela Knight, présidente de la British Bankers' Association. Celle qui doit quotidiennement affronter l'écrasante tâche de défendre l'honneur des banquiers britanniques y confiait combien, à l'idée de passer une fois de plus sa journée à prendre des coups, il lui était parfois difficile de se lever le matin. À son tour, la Fédération Bancaire Française a décidé d'assumer le même fardeau. Et sans doute fatiguée d'attendre que la presse lui rende justice, elle vient de prendre ses affaires en main en achetant une pleine page dans les quotidiens nationaux et régionaux. On se permet d'espérer qu'aussi bien Libération que l'Humanité, qui en ont bien besoin, ont eu leur part ; on se contentera, comme toujours, d'étudier l'annonce telle qu'elle est passée par le canal habituel du grand capital, Les Échos.

Car, l'observateur attentif l'aura remarqué dès 2008, le monde, généralement, est bien trop injuste, et avec les banquiers en particulier. Déjà en 2008 l’opprobre frappait indistinctement la profession dans son ensemble alors que l'on pouvait facilement démontrer que les établissements les plus haïssables, les grands réseaux capitalistes, s'en tiraient, au niveau européen, nettement mieux que les banques mutualistes ou la caisse d'épargne de la région, acteurs pourtant réputés prudents et peu attentifs aux sirènes à la solde de la spéculation internationale. Trois ans après rien n'a changé : les Landesbanken sont toujours dans un sale état, l’État espagnol termine le programme de fusions et de recapitalisation des caisses d'épargne, et Dexia, cette fois-ci, a coulé pour de bon ; l'AMF, comme avant, interdit les ventes à découvert sur les titres de sociétés financières et, comme toujours, cette décision contribue efficacement à calmer la volatilité des titres en question.
Et pourtant, tout a changé puisque le monde s'est renversé : le risque se trouve désormais tout entier contenu dans ces actifs très peu rémunérateurs et qui, en conséquence, ne présentaient d'autre intérêt que leur sécurité, les emprunts d’État. Que l'on réussisse à reprocher aux établissements financiers de détenir de tels titres en portefeuille, qu'on les accuse de jouer, par inconscience, rapacité, et goût du risque, avec les dépôts de leurs clients en choisissant de les investir dans ces valeurs sûres qui, du jour au lendemain, brûlent les mains, montre que le désespoir raccourcira encore longtemps les nuits d'Angela Knight, et que la campagne lancée par la Fédération Bancaire sera longue, et ardue.

Celle-ci, pourtant, frappe fort, ce qui, de la part d'un organisme, par obligation, discret et modéré, surprend, et permet de percevoir, sous la pondération du propos, une totale exaspération. Réfutant l'argument d'une recapitalisation intervenant à la demande des banques, leur porte-parole rappelle à quel point tous leurs soins, comme d'ailleurs ceux des entreprises en général, ont porté depuis 2008 sur l'amélioration de leur solvabilité. Aujourd'hui, rien d'autre ne les menace que la défaillance des États qui jouent dans une classe à part, puisque, seuls dépositaires du monopole de l'usage légitime de la violence physique, ils sont seuls à pouvoir écrire les règles qui gouvernent les banques. Sur le cas particulier de la dette grecque, la Fédération précise que ces titres ont été conservés à la demande de l’État et que, de toute façon, ils ne pèsent pas lourd dans les comptes. Comprenant des fonds en euros à hauteur de 85% du total des encours, l'assurance-vie, le placement préféré de l’État français, ne peut guère en effet être investi ailleurs qu'en dette publique. Et à la seule exception du Crédit Agricole, qui possède des dépendances sur place et dont, d'après Les Échos, la Grèce représente 8,3% du portefeuille d'obligations d’État en euros, ce qui n'est pas rien, l'exposition reste anecdotique, ne serait-ce que parce que la Grèce ne porte pas seule toute la dette du monde.

Alors, puisqu'on est sur le point de confier à la Grèce, le pays le plus avancé dans la construction de cette grande fiction où tout le monde s'est efforcé de vivre au dépens de tout le monde, ce luxueux paquebot dont tous les passagers sont clandestins, les clés de la passerelle avec autorisation de prendre la direction qui lui convient, il faut faire ses comptes. Même un défaut sur la moitié de son passif ne mettra personne en danger ; et le coût, sous forme d'augmentation du capital des établissement prêteurs, en sera amorti par leurs actionnaires - c'est déjà fait - et par leurs salariés - ça va venir. Les craintes qui perdurent sont plus diffuses, et découlent de l'incapacité de la puissance publique à se comporter comme telle. L'Europe mettant une fois de plus son impuissance en scène dans un interminable feuilleton qui a depuis longtemps cessé d'amuser et dont les derniers épisodes portent la bouffonnerie italienne au sommet de l'affiche, on se prend à rêver du moment où, le dos au mur, les élus, contraints et forcés, se comporteront en adultes, cesseront de voir dans les citoyens les clients de largesses dont tout le monde sait dans quelles conditions elles ont mal été acquises, et, dans un inespéré mouvement de transparence démocratique, répartiront publiquement et équitablement la charge du retour à l'équilibre des comptes publics. Ce qui, il n'est guère permis d'en douter, prendra encore quelques années.