Verel, voici peu, exprimait bien l'ambivalence des sentiments que l'on éprouve face à cet exercice en effet un peu puéril, dans lequel on accepte la contrainte de raconter des choses sur soi selon des modalités édictées par d'autres. Mais puisqu'on y est convié par le blogueur préféré du moment de Celui, il serait d'autant plus malvenu de se dérober que la question de savoir pourquoi on tient assez régulièrement et depuis plus de trois ans un carnet qui n'a rien à voir avec un journal personnel se pose, d'autant que DirtyDenys est un objet précisément défini, dans ses composantes visibles comme dans celles qui le sont moins, et cela dès l'origine.

En fait, tout a commencé à cause de Guillermito. Sans doute s'agit-il là d'une vérité assez générale : sur le web, tout est toujours la faute de Guillermito. Pour une raison oubliée depuis longtemps, je recherchais à l'époque des informations sur la stéganographie, une des nombreuses spécialités du biochimiste montpelliérain. J'ignorais tout, à l'époque, des petits soucis judiciaires qui lui vaudraient bientôt une célébrité mondiale. Tombant sur le site de Guillermito, j'avais trouvé des textes épars et plutôt bien vus, mais pas meilleurs que ceux que je produisais, très épisodiquement, et depuis fort longtemps. D'où l'idée de rassembler tout ça sur un site dont l'esthétique sera honteusement copiée sur ce que faisait Guillermito, avec son camïeu de gris. Comme mon copain Vincent profitait de sa liaison adsl pour faire tourner dans son deux-pièces un serveur web sous-utilisé, vallaurien verra ainsi le jour, en 2004. Puis, Vincent a déménagé sous des cieux autrement plus cléments bien que largement aussi ventés. Quelques mois plus tôt, une Freebox avec son IP fixe avait relié de façon stable et permanente mon salon au reste du monde. Il suffisait donc d'un routeur, de toute façon indispensable pour connecter le réseau domestique à la box, et de quelques pièces assemblées dont, pendant quelques mois, un vénérable disque SCSI IBM datant de 1996, pour bâtir le serveur nécessaire au rapatriement de vallaurien. Il était, dès lors, presque fatal d'en venir à héberger autre chose qu'un unique et statique site web, et l'idée de DirtyDenys, conçu au départ pour recueillir des méchancetés trop succinctes et trop anecdotiques pour fournir matière à un article plus étoffé, lequel serait destiné à vallaurien, naîtra assez rapidement. La forme en sera très vite fixée : pas d'images, des billets d'une longueur assez uniforme, conçus pour ne jamais réclamer plus de trois minutes de lecture, un usage intensif des hyperliens, des sujets toujours d'actualité, mais d'une actualité qui peut aussi bien être personnelle qu'internationale, et une approche, au départ, exclusivement sarcastique. D'où l'idée de se placer sous le parrainage de Clint, dans un des ses rôles les plus cinglants, en empruntant à quelques-unes de ses célèbres répliques les titres d'un nombre limité de catégories. La seule évolution notable verra l'apparition d'une catégorie positive, collecting for the red cross, exception à la norme dans tous les sens du terme puisqu'elle pourra recueillir des billets longs de seulement quelques lignes. DirtyDenys existe donc, et pourrait continuer à exister, indépendamment de tout lectorat. Il s'agit en effet d'une activité qui, bien que régulière, reste épisodique, puisque menée à un rythme assez constant de six à huit billets par mois, billets qui, sans compter les recherches qu'ils impliquent, nécessitent entre deux et trois heures d'une écriture qui commence généralement en fin d'après-midi et s'achève avant vingt heures. En somme, et cette caractéristique est fondamentale, le projet, dès le départ, a été conçu avec comme objectif l'autonomie la plus complète possible puisque, pour perdurer, il lui suffit d'un nom de domaine, d'un fournisseur d'électricité et d'adsl, et d'une assez petite quantité de temps libre, irrégulièrement, et aléatoirement, disponible. Comment, alors, expliquer que, des lecteurs, il s'en trouve, et sans doute, régulièrement, plus d'une centaine, pour fréquenter un site qui n'a jamais été l'objet du moindre effort de promotion, pour lire une écriture qui traite de choses souvent bien trop complexes pour être correctement exposées dans ces billets trop courts, de choses bien trop particulières pour intéresser le lectorat ordinaire celui, par exemple, de la presse quotidienne, une écriture qui, le plus souvent, se déroule dans des phrases bien trop longues et n'hésite pas à provoquer le lecteur par un recours systématique au vocabulaire le plus inusuel, même s'il figure toujours dans un dictionnaire standard ? Toutes ces caractéristiques, en fait, fonctionnent comme autant de critères de sélection, ou plutôt d'élection puisque, dans la masse des écritures librement accessibles sur le web, ces partis-pris, que l'on retrouve chez d'autres selon des modalités différentes mais avec une exigence comparable, tracent le cercle de ceux dont on se sent proche, cercle qui, grâce aux initiatives d'un Laurent ou d'un Versac, a cessé d'être virtuel. Paradoxalement donc, cette activité scripturale personnelle et solitaire conduit à la rencontre de ceux de ses semblables qui adoptent des pratiques similaires. Mais il ne s'agit là que de la face visible, la face cachée, celle d'une écriture souvent alourdie de références indéchiffrables restant vraisemblablement inaccessible même aux lecteurs les plus réguliers ; il s'agit, en quelque sorte, de la part strictement privée de textes publics mais qui sont sans doute assez rarement perçus dans leur dimension, n'hésitons pas à le dire, littéraire, laquelle, il est vrai, n'est pas systématiquement présente. Pourtant, en fait, la seule chose qui m'intéresse vraiment, c'est que ce soit beau. Et ça arrive, parfois.