L'argument de Schuss ins blau, le documentaire de Christian Bau qu'Arte diffuse en secret ce dimanche à 0h20, semble de prime abord singulièrement léger : prendre prétexte de l'inauguration de l'opéra de Gelsenkirchen en 1958, avec ses monochromes et ses reliefs-éponges bleus signés Yves Klein, et de la victoire en championnat, la même année, du club de football local Schalke 04, avec ses drapeaux monochromes, et bleus, pour dresser une sorte de portrait croisé de l'artiste, et des joueurs.

Pourtant, en plus d'une foule de questions totalement pertinentes sur la commande publique, la place d'un équipement esthétiquement radical dans une sinistre ville industrielle, la manière dont il peut être accueilli par des gens auxquels on n'a pas pris la peine d'apprendre à le détester, que Christian Bau amène de façon remarquablement désinvolte, son documentaire apporte aussi une vision extrêmement riche de la vie et de l'oeuvre d'Yves Klein, vus côté allemand.
En plus des irremplaçables témoignages de Rotraut Klein, de l'architecte, Werner Ruhnau, et d'autres, on découvre des extraits des fascinantes transcriptions filmiques des travaux d'Yves Klein - les tableaux de feu, le saut dans le vide, les anthropométries, la symphonie monoton - qui dressent, avec discrétion, élégance, et subtilité, une biographie de l'artiste, et montrent, dans le contraste le plus violent, le gouffre insurmontable qui distingue le travail de l'authentique cinéaste documentaire, de celui du journaliste-fonctionnaire si présent sur cette chaîne.

Pour réussir la performance de cacher un trésor pareil dans un créneau horaire en général occupé par des étalages de narcissimes logorrhéiques en plans interminables et vue subjective, il faut vraiment s'appeler Arte.